Pour les enquêteurs d'hier comme d'aujourd'hui, elle est «celle qui sait». Celle qui était là. Celle qui a vu. Pourtant le témoin clé Murielle Bolle n'a pas soufflé mot sur l'assassinat de Grégory, noyé dans la Vologne le 16 octobre 1984. Ni devant les gendarmes qui l'ont placée en garde à vue la semaine dernière. Ni devant Claire Barbier, la présidente de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Dijon, qui l'a mise en examen pour «enlèvement suivi de mort» le 29 juin. Deux semaines après Marcel et Jacqueline Jacob, 72 ans, soupçonnés d'«enlèvement et séquestration suivis de mort» et placés sous contrôle judiciaire, cette femme de 48 ans joue, à son tour, son avenir carcéral. Même lieu : le palais de justice de Dijon. Même demande de son avocat : sa remise en liberté sous contrôle judiciaire. Sans surprise, le parquet général, par la voix de Jean-Jacques Bosc, s'est prononcé en faveur de son maintien sous les verrous. Suivi par Me Marie-Christine Chastant-Morand, avocate des parents de Grégory, qui explique à Libération: «Si elle rentre chez elle, il y a des risques de pression. On a vu ce que ça a donné il y a trente ans quand elle s'est retrouvée dans sa famille. Il ne faudrait pas réitérer la même chose.»
L'avocate fait référence à cette fameuse nuit du 5 novembre 1984, celle qui a précédé le volte-face de Murielle Bolle. A l'époque, l'adolescente de 15 ans, cheveux roux et frimousse constellée de tâches de rousseur, a confié aux gendarmes qu'elle était dans la voiture de son beau-frère, Bernard Laroche, lorsque celui-ci a kidnappé Grégory. Cependant deux jours plus tard, machine arrière. «Mon beau-frère, il est innocent», a-t-elle bredouillé sur les marches du palais de justice d'Epinal. Elle a alors accusé les enquêteurs de l'avoir menacée, à l'aide d'un chantage à «la maison de correction». Sans pourtant convaincre. «On a des témoignages laissant penser qu'elle a pu faire l'objet de pressions et de violence pour se rétracter», déclare trente ans plus tard le procureur général de Dijon, Jean-Jacques Bosc.
Le volumineux dossier s'est en effet enrichi d'un témoignage inédit… et bien tardif : celui de P.F., un cousin germain de Murielle Bolle, aujourd'hui âgé de 54 ans. Après la récente mise en cause des époux Jacob, il s'est présenté aux enquêteurs pour raconter cette soirée où tout a basculé. Selon le Figaro qui a pu consulter le procès-verbal, l'homme était aux premières loges et en conserve un souvenir impérissable. Il décrit une véritable scène de «lynchage» : déluge d'insultes, coups, hurlements et même «une poignée de cheveux» arrachée par Marie-Ange Laroche à sa sœur adolescente qui vient d'envoyer son mari en taule. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps avant de se manifester ? P.F. n'est pas très clair, il se serait décidé lors de la médiatisation de l'affaire car «il en a gros sur le cœur». Pourtant, selon le Figaro, son nom n'apparaît pas sur le procès-verbal de l'époque où tous les «invités» de la soirée sont répertoriés. Marie-Ange Laroche, elle aussi, réfute la présence du cousin au pavillon de Laveline-devant-Bruyère.
Si les enquêteurs poursuivent leurs vérifications, il semble avéré que, ce 5 novembre 1984, Murielle Bolle a passé une soirée pour le moins agitée dans le huis clos familial. Et pour cause : ses parents et ses frères et sœurs réunis au grand complet viennent d'apprendre que c'est le témoignage de «la petite» qui a permis l'inculpation de Bernard Laroche. Le juge Lambert n'en a pas fait mystère : il a déclaré devant toutes les caméras que celle qui l'a convaincu de lui passer les menottes n'est autre que sa… belle-sœur. «On l'a quasiment livrée en pâture», résume Me Chastant Morand. Chez les Bolle, l'ambiance est électrique. «Pourquoi tu as dit ça ? Pourquoi tu as dit ça ?», s'exclame Marie-Ange Laroche privée de son mari, selon l'arrêt de la chambre d'accusation de 1993 avant de «secouer violemment» sa sœur. A tel point que celle-ci prend la fuite en pleurant et «fait une crise de nerfs».
Ce n'est pas tout. Selon l'Est républicain, les gendarmes disposeraient aujourd'hui des propos posthumes de l'ancienne infirmière de Jeanine Bolle, la mère de Murielle. Jacqueline G, décédée en 2014, a raconté à Jean-Marie Villemin, lors d'une conversation téléphonique qu'il a enregistrée, que, cette nuit-là, Murielle a reçu des «gifles» et des «coups de pied». La journaliste Laurence Lacour – spécialiste de l'affaire, qui a rencontré Jacqueline G en 1993 dans le cadre de son enquête – a confirmé à la justice la solidité de ce témoignage. Elle assure que, le jour anniversaire de la mort de Jeanine Bolle, l'infirmière a amené Murielle sur la tombe de sa mère. Cette dernière lui aurait alors confié que le 16 octobre 1984, elle n'avait pas pris le car de ramassage scolaire. Sous entendu : elle était avec Bernard Laroche. En 1989, Jacqueline G déclarait déjà : «Je pense que Murielle n'osera jamais vous parler parce que depuis les faits, elle est prise dans un réseau trop puissant de pressions venant de son entourage et d'autres.»
La chambre de l'instruction a finalement décidé que, cette fois, Murielle Bolle ne rentrerait pas seule chez elle. Ou plutôt chez un membre de sa famille qui devait l'héberger, selon la proposition de son avocat, Me Jean-Paul Teissonnière. Les magistrats ont maintenu son placement en détention provisoire «pour éviter la concertation», détaille l'avocat à la sortie de l'audience, tout en insistant : «Il faut qu'elle sorte le plus vite possible.»
Il reste optimiste : «Ça ne devrait pas durer longtemps.» Certainement le temps nécessaire à la justice pour poursuivre certaines auditions au sein de la famille, voire organiser une confrontation avec le cousin-témoin. Me Jean-Paul Teissonnière prévoit de déposer prochainement une demande de remise en liberté avec une nouvelle proposition d'hébergement. «Les parents de Grégory espèrent beaucoup. On dit que trente ans après c'est trop tard. Mais il n'est jamais trop tard pour dire la vérité», a déclaré Me Marie-Christine Chastant-Morand à Libération. Aujourd'hui, l'affaire Grégory ne tient plus qu'à un fil, celui de la parole.