Menu
Libération

Après le flou du Congrès, du concret à l’Assemblée

Justice, santé, éducation, fiscalité, logement, environnement… Les principales annonces du chef du gouvernement… et leurs angles morts.
publié le 4 juillet 2017 à 21h06

Devant les députés, Edouard Philippe est passé aux travaux pratiques mardi en détaillant les grandes orientations du quinquennat. Mais sans revenir en détail sur la future loi travail, déjà engagée.

Finances et fiscalité Des coupes dans le public

Comment ne pas parler comme un «comptable» tout en donnant des gages à Bruxelles et Berlin sur la volonté du gouvernement de réduire le déficit public et d'engager la France, comme l'Allemagne, sur la voie du désendettement ? Cinq jours après la publication de l'audit de la Cour des comptes qui s'inquiétait d'un déficit public dérivant à 3,2 % si rien n'était fait, le Premier ministre est resté assez flou sur les pistes pour tenir la trajectoire budgétaire et les 4 à 5 milliards qui manquent pour boucler 2017 dans les clous.

S’il a confirmé son alignement sur l’objectif, inédit à ce niveau, de stabiliser en volume en 2018 (hors inflation) la dépense publique comme l’ont recommandé les «sages» de la rue Cambon, il n’est pas vraiment rentré dans les détails sur la manière d’atteindre les 15 à 20 milliards d’économies que cela implique. Edouard Philippe s’est bien engagé à stopper l’inflation de la masse salariale du secteur public (un quart de la dépense), mais le retour du gel du point d’indice annoncé la semaine dernière n’y suffira pas en raison des augmentations statutaires.

Il a également affirmé «qu'aucun ministère, aucun opérateur, aucune niche fiscale ne sera sanctuarisé», avant de se montrer un peu plus précis sur les «politiques publiques» qui devront être «repensées» : l'aide au logement, l'emploi et la formation professionnelle sont visiblement dans le collimateur de l'exécutif, ce qui ne manquera pas d'étonner de la part d'un gouvernement qui a érigé la formation et la lutte contre le chômage au rang de ses grandes priorités. Il a été plus clair en revanche sur les reports de plusieurs mesures fiscales promises par le candidat Macron. La réforme de l'ISF, qui coûtera au moins 2 milliards de recettes à l'Etat est reportée à 2019, tout comme la transformation du CICE en allégement de charges. La réforme de la taxe d'habitation sera quant à elle mise en œuvre d'ici «la fin du quinquennat» mais là où Emmanuel Macron parlait d'en «exonérer 80 % des Français», Edouard Philippe évoque désormais «une concertation» et une «amélioration» du dispositif. Mesure fiscale prioritaire, la bascule de cotisations salariales vers la CSG avec une plus grande contribution des retraités est, elle, maintenue en 2018.

Justice Prison et simplification

Le chapitre de la justice a, certes, été le premier évoqué, mais il tient en quelques lignes. Tout d'abord, une loi quinquennale de programmation des moyens de la justice est prévue dès 2018. Ce texte devrait permettre «d'engager un vaste mouvement de dématérialisation, de simplification et de réorganisation», a précisé Edouard Philippe. Ensuite, la construction de 15 000 nouvelles places de prison «pour traiter dignement les détenus», soit la promesse de campagne du candidat Macron. Là encore, le Premier ministre ne s'est pas éternisé, soulignant simplement que «la prison n'est pas une fin en soi» et que ce chantier immobilier ne saurait empêcher «une réflexion sur le sens de la peine». Enfin, concernant le volet pénal, il faut s'attendre à «une simplification de la procédure» : «Des peines seront renforcées» et des «incivilités pourront faire l'objet de contraventions», a-t-il détaillé, sans que l'on sache précisément lesquelles.

Logement Plus et plus vite

Une loi de simplification à l'automne, des permis de construire délivrés plus rapidement dans «les bassins d'emploi les plus dynamiques», des sanctions contre les recours abusifs. Dans les zones tendues (où l'on observe une pénurie de logements), Philippe veut que «les autorisations d'urbanisme» soient transférées aux agglomérations, «pour que les décisions de construire soient prises à l'échelle des bassins de vie». Les maires - dont certains sont montrés du doigt car ils ne construisent pas assez - perdraient-ils pour la première fois la signature des permis de construire ? Pas clair.

Environnement Carbone, diesel, etc.

Objectif général du Premier ministre : «Arriver à la neutralité carbone d'ici 2050.» Dans l'immédiat, le gouvernement n'attribuera plus d'autorisation de recherche de gaz de schiste. Ensuite, il alignera les prix du diesel et de l'essence d'ici la fin de la mandature. Sur les transports, alors que la France vient d'inaugurer sa dernière ligne à grande vitesse, Edouard Philippe annonce que c'est fini. «Le temps des grandes infrastructures de transport doit céder la place à des politiques tournées vers les nouveaux modes de mobilité» que les nouvelles technologies rendent possibles.

Santé Vaccins, tabac et soins dentaires

Le prix du paquet de cigarettes porté à 10 euros, soit une hausse de près de 40 %. L'ensemble des vaccins pour la petite enfance, bientôt obligatoires. Un reste à charge réduit à zéro pour les lunettes, les appareils auditifs et surtout les dents. Le Premier ministre s'est engagé fermement sur des questions de santé publique, ce qui est assez rare. Cela marque, la volonté d'une politique de santé publique plus directive. «Le tabac en France entraîne plus de 80 000 décès. C'est la première cause de mortalité évitable et la consommation quotidienne de tabac augmente chez les adolescents. Ne rien faire est exclu», a-t-il expliqué, mais sans donner de date pour cette mesure.

Sur les vaccins, il s'est montré plus précis, reprenant un souhait de sa ministre de la Santé, Agnès Buzyn. «Des maladies que l'on croyait éradiquées se développent à nouveau sur notre territoire, des enfants meurent de la rougeole aujourd'hui en France», a-t-il déclaré. Cela fera donc onze vaccins obligatoires et non plus trois comme c'est le cas actuellement. Sur la question du reste à charge, Philippe a pris le pari le plus audacieux. «D'ici la fin du quinquennat, tous les Français auront accès à des offres de soins sans aucun reste à charge pour les lunettes, les soins dentaires et les aides auditives.» Un objectif louable, mais sur la question des dents, il convient d'attendre les mesures concrètes, tant la couverture sociale est très mauvaise. Qui va désormais payer, d'autant qu'il a annoncé que la sécurité sociale se devra d'être à l'équilibre en 2020 ?

Éducation Bac et fac

Des rangs des parlementaires, on a entendu s'élever des «oh» et des «ah». La phrase d'Edouard Philippe avait en effet de quoi réveiller une assistance : «Nous conduisons 60 % des bacheliers à l'échec en licence !» a dit le Premier ministre, qui a détaillé les grands chantiers du gouvernement en matière d'éducation, et notamment l'évolution «profonde» du baccalauréat. Une concertation dès la rentrée a été annoncée, afin d'aboutir à l'horizon 2021 à un bac réformé, qui donnerait davantage de place au contrôle continu et dont les épreuves finales seraient resserrées autour de quelques matières. Le Premier ministre est également revenu sur le problème du tirage au sort, auquel certaines académies ont eu récemment recours pour affecter les étudiants à l'université. «Scandale absolu : des bacheliers, y compris parmi les plus méritants, se retrouvent exclus par tirage au sort des filières universitaires qu'ils ont choisies ! Où est l'égalité ? Où est le mérite ? Où est la République ?» a-t-il demandé. Sa piste reprend la mesure du programme d'Emmanuel Macron : instaurer des «contrats de réussite étudiante» qui permettraient de mieux orienter les étudiants en leur indiquant les pré-requis nécessaires pour suivre telle ou telle filière universitaire.

Edouard Philippe a également fustigé le fait que la France dépense «bien moins que [ses] voisins dans le primaire, où pourtant tout se joue. Nous dépensons bien plus que les autres pays pour le lycée, notamment parce que notre système est rigide et conçu autour du baccalauréat». Une réflexion plutôt ironique, alors que de nombreux enseignants dénoncent la mise en place à la rentrée prochaine des «CP dédoublés», qui se déploieront dans les zones REP + (d'éducation prioritaire) au détriment d'un autre dispositif, celui du «Plus de maîtres que de classes» pourtant jugé pour l'instant satisfaisant par le corps enseignant.

Enfin, récitant son précis macronien, le Premier ministre a tenu à préciser qu'«un enfant handicapé scolarisé, ce n'est pas seulement une histoire d'argent, ni même de justice : c'est une chance pour l'ensemble de ses camarades».