Ces dernières semaines, la mission locale du Libournais (Gironde) a annoncé à une dizaine de jeunes que l'emploi d'avenir qu'ils s'apprêtaient à décrocher leur filait entre les doigts. «Certains d'entre eux devaient signer le lendemain chez leur employeur», se désole Corinne Venayre, directrice de la mission locale, qui accompagne 2 000 jeunes par an. La faute au changement de gouvernement : aucun nouveau crédit n'a pour l'heure été débloqué pour financer le dispositif au second semestre. Les emplois d'avenir ont été lancés au début du mandat de François Hollande pour soulager le chômage des 16-25 ans. Environ 300 000 contrats - CDD ou CDI à plein-temps - ont été signés depuis 2012. L'Etat prend en charge 75 % de leur coût dans le secteur non-marchand (associations et collectivités locales) et 35 % dans les entreprises, pendant trois ans maximum. Qu'adviendra-t-il d'eux au cours du nouveau quinquennat ? «Nous y aurons recours, mais de façon maîtrisée», a prévenu Edouard Philippe début juin, dans une interview au Parisien. Pour l'heure, le plus grand flou persiste.
Stabilité. A Libourne, Corinne Venayre a reçu l'ordre de «tout arrêter» en mai, alors qu'elle n'avait pas ménagé ses efforts ces dernières années pour atteindre les objectifs ambitieux de l'exécutif précédent. Depuis lundi, un mail de la Direccte, les services déconcentrés du ministère du Travail, l'autorise à renouveler les contrats expirés en juillet, mais sans promesse pour la suite. A la mission locale de Paris, un message de la direction avise les conseillers que «des discussions interministérielles sont toujours en cours», mais prévient que «les enveloppes devraient être sensiblement réduites par rapport au premier semestre».
Anthony Tabaneau, 24 ans, fait partie des jeunes qui se sont retrouvés le bec dans l'eau. Il y a quatre ans, son niveau bac pro ne lui permettait de décrocher qu'une succession de CDD pour travailler dans les vignes. Un premier emploi d'avenir de deux ans et demi dans un syndicat de collecte des déchets lui a apporté un peu de stabilité. Et l'opportunité de passer un CAP dans le transport de marchandises. Au printemps 2016, Anthony, alors jeune père, enchaîne par un deuxième emploi d'avenir dans une mairie. Il aurait aimé le prolonger d'un an au mois de mai. Mais c'est à ce moment-là que les renouvellements ont commencé à être gelés. Son employeur lui a alors proposé de basculer sur un contrat unique d'insertion (CUI), un emploi aidé «classique» de seulement 20 heures. «Ce n'était pas possible pour moi, avec ma fille et mon loyer à payer», insiste Anthony. Finalement, il a «eu de la chance» : la mairie n'a pas voulu le «laisser partir comme un malpropre» et a mis la main à la poche pour lui permettre d'atteindre un temps plein. Mais Anthony n'aura plus la possibilité de suivre une formation en parallèle. C'était pourtant l'une des principales plus-values des emplois d'avenir. En plus d'être plus longs, «ils donnent accès aux financements de la région, ce qui n'est pas le cas des autres contrats aidés, explique Aurore Targhi, référente à la mission locale du Libournais. Leur suspension met en l'air tous nos projets de formation avec les jeunes.»
Edouard Philippe, lui, a surtout retenu que les emplois d'avenir «coûtaient cher». Une critique conforme à celle émise par la Cour des comptes dans son rapport publié la semaine dernière. Les 479 275 contrats aidés signés en 2016 y sont épinglés pour leur coût trop élevé (4,2 milliards d'euros) et leur efficacité jugée trop faible. La Cour concentre ses reproches sur les emplois d'avenir, «généralement à plein-temps et pouvant s'étendre sur trois ans et donc plus coûteux que les contrats classiques». Et sermonne le précédent gouvernement pour avoir voulu faire du chiffre «sans s'assurer que ces contrats permettaient une insertion durable dans l'emploi».
Atout. Le bilan des emplois d'avenir, dans le cadre du traitement social du chômage, est pourtant loin d'être désastreux. En octobre 2016, le ministère du Travail estimait qu'un an après la signature de leur contrat, trois jeunes sur quatre avaient bénéficié d'une formation, la moitié obtenant un diplôme. En mars, la rue de Grenelle observait aussi que 51 % des bénéficiaires avaient un travail six mois après la fin de leur contrat. Un taux comparable à celui des autres contrats aidés, à la différence que les ex-emplois d'avenir décrochaient plus souvent que les autres un contrat «non aidé». Et ce taux monte à 58 % chez les jeunes restés trois ans en emploi d'avenir. Preuve que la longueur du contrat était aussi un atout.
Sur le terrain, les missions locales se félicitent que les employeurs aient répondu présent. A la mission locale de Paris, une trentaine d'offres ne demandent toujours qu'à être pourvues. A Libourne, «on signait toutes les semaines. Les offres tombaient sans besoin de prospecter, assure Aurore Targhi. S'ils sont supprimés, on renverra les jeunes vers des contrats plus précaires».