Primo-député, le socialiste Boris Vallaud, inscrit dans le groupe Nouvelle Gauche, a été élu dans la circonscription des Landes d’Henri Emmanuelli. Cet ancien directeur de cabinet d’Arnaud Montebourg au ministère du Redressement productif, devenu secrétaire général adjoint de l’Elysée de novembre 2014 à mai 2017, avait participé aux arbitrages de la loi travail portée par Myriam El Khomri.
Dans cette réforme du code du travail, ce qui vous dérange le plus, c’est la forme ou le fond?
On ne peut pas dissocier les deux vu le sujet, crucial pour les Français. Après les élections présidentielle et législatives, il aurait peut-être été utile de reconsidérer le passage par les ordonnances. Dans un pays où moins d’un Français sur deux est allé voter, on n’a pas besoin de moins de discussion citoyenne, de moins de dialogue social de moins de débat parlementaire, mais de plus de tout ça. Or, la procédure qui nous est proposée escamote le débat citoyen. Pour qu’elles soient acceptées, les grandes réformes doivent être comprises. Dans son discours de Versailles, le Président a parlé de la place du citoyen, du temps nécessaire pour la fabrication de la loi. Cela est démenti dès le premier texte proposé à l’Assemblée. La procédure n’est pas urgente, elle est expéditive.
A dessein ?
Je ne veux pas prêter de mauvaises intentions au gouvernement. Je fais juste un constat, qui est qu’on ne peut pas travailler correctement au service des Français dans ces conditions. Il y a pourtant des objectifs qu’on peut partager sans être d’accord sur la façon de les atteindre.
Lesquels?
En réalité, vu le flou, je suis bien en peine de vous le dire ! Le groupe Nouvelle Gauche n’est pas hostile par principe à la réforme. Nous voyons bien la désarticulation de notre modèle social, aujourd’hui confronté au défi de la transition écologique et de la révolution numérique. Mais justement, l’enjeu, c’est la construction d’un modèle social qui nous permette d’affronter les trente prochaines années. Tout cela mérite du temps.
Le Président semble justement vouloir aller vite en raison de ce qu’il s’est passé l’an dernier sur la loi travail…
Je fais l'analyse inverse. La majorité invisible, je l'ai croisée pendant ma campagne. Pour une partie des Français, les politiques, les élus, les parlementaires, on ne sert à rien. Ils me disaient : «Moi, tout ce qui compte, c'est que quelqu'un m'aide à poser les carreaux de ma salle de bains samedi prochain.» Il faut qu'on arrive à refaire comprendre que justement la politique aide à poser les carreaux !
Le silence de la majorité présidentielle vous inquiète ?
Ce que je vois, c’est qu’on a une Assemblée entièrement renouvelée, forte de nouveaux parcours et nouvelles figures. Mais cette richesse-là est dès le départ muette. On a ouvert les fenêtres pour les refermer tout de suite. En commission des affaires sociales, pas un député LREM n’a pris la parole ! Comme si l’interdiction du clivage politique se traduisait par l’interdiction du débat interne.
Avez-vous compris jusqu’où le gouvernement veut aller sur le code du travail ?
Non, car nous n’avons pas la clarté nécessaire sur le point d’atterrissage de cette réforme. On nous la présente comme un pilier d’une réforme plus globale, mais nous sommes dans l’incapacité d’en apprécier l’équilibre global parce qu’il manque les volets de l’assurance chômage et de la formation professionnelle, annoncés par le candidat Macron.
Le débat en commission ne vous a pas permis d’y voir plus clair ?
Je ne peux pas dire qu'on ne nous a pas répondu. Mais on ne nous a pas éclairés. Et comment le pourrait-on alors que les discussions avec les syndicats ne sont pas terminées ! Du coup, nos inquiétudes demeurent, par exemple sur la prise en compte de la pénibilité, que nous considérons comme un grand progrès social. Les précisions apportées par le Premier ministre (lire page 3) ne sont pas de nature à nous rassurer.
C’est une de vos lignes rouges ?
Le plafonnement des indemnités prud’homales, le changement de motif de licenciement, l’abaissement du seuil de déclenchement d’un plan de sauvegarde de l’emploi, le contrat de chantier, qui permet surtout de ne pas verser de prime de précarité à la fin : nous n’y souscrirons pas.
Vous avez vu le nombre de contrats précaires qu’on a en France ? Nos contrats à durée déterminée de moins d’un mois représentent un tiers de ceux de toute l’Europe. Selon l’OCDE, les CDI français sont moins protecteurs qu’en Allemagne mais les CDD beaucoup plus… On ne doit pas défaire ça. De plus, dans la loi El Khomri de l’an dernier, il y avait des choses très intéressantes, comme le compte personnel d’activité, qui a disparu de la circulation alors que c’était la première brique d’une sécurité sociale professionnelle, ou la «garantie jeunes».