La brick chèvre-miel qu'elle a commandée est en train de refroidir. A 14 h 30, ce dernier jour de juin, Danièle Obono a faim, mais pas assez pour préférer les nourritures terrestres. Parler concepts, pensée et militantisme lui fait oublier son estomac, végétarien «depuis huit mois». La députée mélenchoniste a donné rendez-vous dans un restaurant du XVIIIe arrondissement, son «QG non officiel» pendant la campagne des législatives. Dans cette circonscription populaire du nord de la capitale, elle a battu de peu son adversaire de La République en marche. Le sortant, le socialiste Daniel Vaillant, était en place depuis quinze ans. Obono assure qu'elle n'en fera pas autant, parle d'une «phase» de son engagement politique. «Tâchons déjà de faire un mandat, dit-elle en souriant. On est ultraminoritaires à l'Assemblée…» Dix-sept insoumis au total. «On ne pourra pas rester anonymes longtemps», remarque notre interlocutrice, dont le baptême du feu médiatique a déjà eu lieu. C'était trois jours après son élection, à la radio. Pour se racheter d'avoir soutenu en 2012 un groupe de rap ayant chanté «nique la France», on la somme de dire «vive la France». Elle proteste légitimement devant l'incongruité de la requête, et dans les heures qui suivent, la fachosphère s'excite. La néophyte, bibliothécaire de profession, ne réalise pas immédiatement le potentiel polémique de la séquence. Après l'émission, «les copains» lui disent juste : «T'as été bien, mais tu aurais peut-être dû mieux parler. T'as dit "meuf".» En fait, ce n'est pas le niveau de langue qui en a dérangé certains. Mais Danièle Obono est née au Gabon, il y a bientôt trente-sept ans, et elle est noire. «Ils voulaient m'entendre dire que j'étais reconnaissante de mon parcours», analyse l'intéressée avec le recul, en haussant les épaules.
Longtemps, elle n'a pas envisagé sa couleur de peau comme une «identité politique». Militante altermondialiste à la vingtaine, elle s'engage à la Ligue communiste révolutionnaire, futur NPA, «après 2002». «J'étais si bien intégrée qu'ils ne se rendaient pas compte que j'étais noire. Ils voyaient plus le rapport entre un Noir pauvre et un Blanc pauvre qu'entre Condoleezza Rice et moi. J'ai fini par sentir l'altérité. Il y avait un "eux" et un "moi".» C'est le début d'un combat de plus, l'antiracisme. Dans le sillon de la polémique «vive la France», d'aucuns l'ont accusée d'être trop proche du controversé Parti des indigènes de la République (PIR). Elle a assisté au dixième anniversaire du PIR mais n'en est pas membre. Jean-Michel Aphatie lui a, de son côté, reproché sa «sécheresse humaine», traçant un lien incompréhensible entre «nique la France» et les attentats. Si la vague terroriste a été «un traumatisme pour tout le monde», dixit l'élue, elle assume de ne pas avoir défilé dans les rues de Paris le 11 janvier 2015. Une position politique autant qu'idéologique : «Qu'elle est violente cette injonction à avoir la bonne manière de réagir, à dire comment il faut pleurer, à quel moment il faut applaudir ou se lever pour chanter !»
Danièle Obono a grandi à Libreville, dans une famille de la «petite bourgeoisie gabonaise». La mère, le père et les quatre filles vivent dans une «maison en dur». Après la séparation des parents quand elle a 6 ou 7 ans, l'histoire du père devient floue. Sa fille réfléchit : «Je crois qu'il a été directeur d'hôtel pendant un temps. Il était opposant politique.» Il a été candidat à la présidentielle en 1998, mais elle n'en parle pas. «Il a plein d'autres enfants», voilà.
La mère, elle, était secrétaire à Air Gabon. Danièle Obono a vécu une dizaine d'années dans son pays de naissance avant l'arrivée en France, à Montpellier, pour l'entrée au collège. «Une décennie qui peut expliquer l'articulation des mots en "isme" que je porte sans contradiction, médite-t-elle. J'ai tiré de mon environnement l'idée qu'on peut être plein de trucs en même temps.» Démonstration avec la religion : mère catholique, père plutôt protestant, «mais on fêtait aussi l'Aïd en famille, car le père d'une de mes sœurs était musulman. Et tout ce petit monde était aussi animiste», s'amuse celle qui n'a «plus besoin de la religion aujourd'hui». Reste un souvenir plus récent en la matière, un jour de raout catholique à Rome : «J'ai regardé tous les évêques. Il n'y avait que des vieux mecs blancs, ça m'avait interpellée.» Aujourd'hui, elle est «agnostique plutôt qu'athée, s'il faut trouver une étiquette». Elle en a un paquet, d'étiquettes. Les fameux mots en «isme». Marxisme, trotskisme, internationalisme, anti-impérialisme, afroféminisme, antiracisme…
Ses idées ont fini par la mener au Front de gauche en 2011, l'année où elle est naturalisée française. Un transfert logique, selon elle : «Mon évolution s'inscrit dans l'évolution des débats des gauches radicales.» En interne, au NPA comme au Front de gauche, elle a souvent eu un point de vue minoritaire. «Etre en désaccord ne me pose pas de problème.» Une de ses proches, Brune Seban, confirme : «Elle a l'habitude de défendre son opinion à elle, y compris dans un contexte collectif.» Et l'amie, à présent assistante parlementaire d'Obono, d'ajouter : «Elle est courageuse.»
Avec Jean-Luc Mélenchon, la députée de Paris n'est pas d'accord sur tout. «On n'a pas le même rapport à la puissance française, par exemple. Mais on peut se battre ensemble sur des choses même si on part de points de vue différents. Un souverainiste et une internationaliste peuvent tous deux plaider pour un développement endogène des outre-mers. Se référer au plus petit dénominateur commun pour mettre tout le monde d'accord, c'est une vision appauvrissante.» Danièle Obono est doctorante à l'Ecole des hautes études en sciences sociales. Sa thèse porte sur les mouvements sociaux et démocratiques au Nigeria. Avant de passer les concours de la fonction publique il y a une poignée d'années, la trentenaire a un peu «galéré», «comme plein de gens». «Je me débrouillais pour trouver des plans logement quand j'étais au chômedu». Une fois bibliothécaire, son salaire de «1 700 ou 1 800 euros» lui a permis de trouver son appartement actuel : 31 mètres carrés dans le XIXe arrondissement. Elle gagne désormais 7 000 euros par mois, plus les avantages de la fonction : «Je commence à comprendre l'impact des conditions matérielles des députés, les assistants qui vous règlent vos problèmes… C'est super bizarre de payer des gens. Je me sens complètement déstructurée ces jours-ci.» Quand arrive une question sur sa vie privée. Danièle Obono retrouve la petite voix qu'elle avait au moment des présentations. Elle est célibataire, n'a pas d'enfant et «il n'y a pas grand-chose à dire». Il y a un monde à refaire.
12 juillet 1980 Naissance à Libreville.
2002 Adhère à la Ligue communiste révolutionnaire.
2011 Rejoint le Front de gauche, est naturalisée française.
18 juin 2017 Elue députée de Paris.
Photo Martin Colombet . Hans Lucas