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Comment les anti-vaccins squattent les réseaux sociaux

Le projet d'extension à onze vaccins obligatoires, que la ministre des Solidarités et de la Santé Agnès Buzyn souhaite rendre effectif en 2018, nourrit des réactions de colère et d'indignation sur les réseaux sociaux. Pétitions, témoignages et théories complotistes anti-vaccination ressurgissent.
Vaccin contre la grippe, en octobre 2015 à Lille. (Photo Philippe Huguen. AFP)
publié le 11 juillet 2017 à 18h29

Multiplication de pétitions en ligne et de témoignages, diffusion massive de statistiques pseudo-scientifiques, prise de becs sur les réseaux sociaux… Les dernières déclarations de la ministre des Solidarités et de la Santé Agnès Buzyn, qui souhaite rendre obligatoires onze vaccins à partir de 2018, provoquent de vives réactions sur la toile, et un déchaînement des complotistes. Alors que les critiques anti-vaccination pleuvent en ligne, la ministre a réitéré plus fermement son engagement samedi dernier, lors des rencontres économiques d'Aix-en-Provence : «Les vaccins, ça marche, ça fonctionne, ça a sauvé des centaines de millions de vies» a martelé Agnès Buzyn, regrettant que «la défiance envers les vaccins» soit «à ce point ancrée dans la population». Hier matin, la ministre a encore tenté de mettre fin aux polémiques par un tweet dénonçant «les fausses informations et les théories du complot qui fleurissent sur internet» et «propagent le doute sur les vaccins».

Pour Serge Blisko, ancien député (PS), médecin de formation et président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), cette «inquiétude des Français n'est pas neuve», puisque les trois vaccins actuellement obligatoires – diphtérie, tétanos, poliomyélite (DTP) – sont déjà remis en question par de nombreux internautes : «Il y a toujours eu de vieux mouvements anti-progrès médical en ligne» analyse Serge Blisko, qui rappelle que selon les dernières statistiques «près de 40% des Français sont réticents à la vaccination», ce qui «contraint les pouvoirs publics à les rendre obligatoires». Selon lui, ces polémiques récurrentes s'expliquent essentiellement par l'éclatement de plusieurs scandales sanitaires comme «le sang contaminé ou le médiator», qui ont accentué la méfiance des Français vis-à-vis des institutions et favorisé la naissance de groupes d'internautes complotistes.

«Mouvance sectaire»

Dans ce vaste espace de libre expression qu'est Internet, le président de la Miviludes observe plusieurs niveaux de dérives. «Entre les complotistes, les réticents, les inquiets et les non-vaccinés, il faut faire la nuance» développe Serge Blisko, qui distingue trois «profils anti-vaccins». Ceux qui s'insurgent contre les «forces obscures» incarnées par les lobbys pharmaceutiques sont les plus nombreux. Didier Pachoud, président du Groupe d'études des mouvements de pensée en vue de la protection de l'individu (Gemppi), les classe dans la colonne des complotistes : «On retrouve chez eux un discours simpliste, où la coïncidence n'existe pas» explique-t-il, «le monde se divise entre les gentils et les méchants lobbys».

Second profil d'internautes, les partisans du new age, qui diffusent les principes d'une médecine alternative naturelle, inspirée de la «deep ecology américaine». «Ils s'opposent à toutes les pratiques allant à l'encontre du cours naturel de la vie, de l'avortement jusqu'au vaccin» explique Serge Blisko, qui décrit cette idéologie comme une forme de «mouvance sectaire», à laquelle sont réceptifs des familles, des individus isolés mais aussi des médecins. Enfin, une dernière frange d'anti-vaccins rassemble les partisans d'idéologies religieuses fondamentalistes, «essentiellement protestants et catholiques» souligne le président de la Miviludes, qui note que ces profils sont «extrêmement minoritaires» sur la toile.

Pour Didier Pachoud, internet favorise la mise en relation de ces «porteurs d'idéologies» avec des «internautes inquiets», qui cherchent des réponses. Le président de la Gemppi met ainsi en garde contre ces méthodes de propagande en ligne, qui érigent le cas isolé en une vérité générale : «Au départ, il y a un fait singulier, marginal, qui provoque le buzz, puis sème une petite graine dans l'esprit des internautes» explique ainsi Didier Pachoud, pour qui les témoignages en ligne sont «d'autant plus convaincants qu'ils racontent une histoire personnelle calamiteuse, souvent vraie, mais pas représentative» de l'ensemble de la vaccination en général.

«Mauvaise réponse»

Depuis les déclarations d'Agnès Buzyn, Didier Lambert, le président d'E3M, une association qui lutte pour la reconnaissance des maladies induites par l'aluminium contenu dans les vaccins, se tient à distance des polémiques en ligne : «Nous n'avons pas appelé à signer la pétition, dans ce climat, on sait que ça va décrédibiliser notre travail» explique le président, qui préfère «bâtir un avis sérieux» en finançant la recherche sur la vaccination. Pour autant, il dénonce les méthodes du gouvernement, qu'il tient pour responsable de la colère de ces nombreux internautes. Selon lui, ce projet d'extension est «une mauvaise réponse à une bonne question», celle de savoir pourquoi les Français perdent confiance dans la vaccination : «Faire passer onze vaccins de force, c'est stupide, ça va engendrer encore plus de réactions sur internet» analyse Didier Lambert. Et d'ajouter : «On ne bâtit pas une politique de santé publique sur la peur. La démagogie appelle la démagogie.»

De son côté, Serge Blisko reconnaît les difficultés de communication du ministère de la Santé. «La science est inexacte et nuancée» explique ainsi le président de la Miviludes, «c'est un vrai enjeu pour le ministère de savoir clarifier des sujets complexes comme la vaccination qui créent l'inquiétude». Sans quoi, «les hésitants et réticents risquent de devenir des opposants», s'inquiète Didier Lambert.