La France est une démocratie qui maltraite ses détenus. Les années passent, les gouvernements de droite comme de gauche se succèdent, et la surpopulation carcérale ne cesse d’empirer. Selon un rapport du Conseil de l’Europe daté de mars dernier, la France est le seul pays européen dont le nombre de détenus augmente. Résultat, quelque 70 000 personnes sont incarcérées dans des établissements pénitentiaires qui, au total, ne disposent que de 58 664 places.
Exemple caricatural s’il en est : la maison d’arrêt de Fresnes (Val-de-Marne) et son taux d’occupation de 217 %. Le Conseil d’Etat examinait mercredi un recours de l’Observatoire international des prisons (OIP), lui demandant de mettre fin à cette situation dégradante pour les prisonniers. La décision de la haute juridiction administrative est très attendue, puisqu’elle pourrait faire jurisprudence pour d’autres établissements pénitentiaires également surpeuplés.
«Inhumain et dégradant»
Lors de l'audience mercredi, les sages du Palais-Royal ne pouvaient jouer la carte de l'ignorance. En mai dernier, l'OIP avait déjà saisi le tribunal administratif de Melun sur la question de Fresnes. Neuf mesures – comme la dératisation des locaux – avaient notamment été mises en place par la suite pour améliorer le traitement des détenus, qualifié d'«inhumain et dégradant» selon un rapport du contrôleur général des prisons en décembre 2016. «Nécessaire mais largement insuffisant», pour Patrice Spinosi, avocat de l'OIP, qui regrette que les juges de Melun ne soient pas allés plus loin en condamnant l'Etat sur la question de la surpopulation. Un sujet que les magistrats avaient jugé hors de leur champ de compétence.
Trois mois plus tard, l'argument reste le même. Mais Vincent Villette, rapporteur de l'audience, s'est déclaré défavorable à ce que le Conseil d'Etat contredise le tribunal de Melun. «Cette requête mène le juge à devenir législateur. Ce n'est pas son rôle», a-t-il argumenté. «Une situation exceptionnelle exige une mesure exceptionnelle. Nous sommes ici pour vous inciter à aller plus loin. […] Ces conditions sont inacceptables dans notre démocratie», a répliqué dans la foulée Patrice Spinosi. Mais l'avocat sait qu'il a peu de chance de voir sa requête aboutir. «Je ne me fais pas d'illusion. C'est toujours plus simple de ne rien changer plutôt que de faire évoluer notre système», avoue l'homme de loi au terme de l'audience.
A défaut d'obtenir gain de cause devant les juridictions françaises, Patrice Spinosi compte se tourner vers la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Lorsqu'il s'agit d'infractions aux droits de l'homme, l'institution européenne semble en effet plus à l'écoute. La Pologne (2009), la Russie (2012), l'Italie (2013) et dernièrement la Roumanie (2017) ont déjà été condamnées pour «traitements inhumains et dégradants» par la CEDH.
L'Europe serait-elle le seul recours crédible pour combattre la surpopulation carcérale ? Réponse fin juillet, date à laquelle le Conseil d'Etat doit rendre son arrêt. En attendant, les détenus de Fresnes continueront à passer la majeure partie de leur temps à trois dans des cellules de 10 m2, conçues pour deux.