Menu
Libération
Interview

Mort du juge Lambert. Gérard Welzer : «C’était un magistrat seul, qui n’a pas été aidé»

Gérard Welzer, l’avocat de Marie-Ange Laroche, revient sur le «gâchis» de l’affaire Grégory.
Gérard Welzer en 2015. (Photo AFP)
publié le 12 juillet 2017 à 19h16

Gérard Welzer est, depuis le début de l’affaire Grégory, en octobre 1984, l’avocat, d’abord de Bernard Laroche, et aujourd’hui de sa femme, Marie-Ange Laroche. Il a vécu tous les épisodes de ce dossier qui vient de connaître un rebondissement judiciaire, avec la mise en examen de Marcel et Jacqueline Jacob, le grand-oncle et la grand-tante de Grégory, et le placement en détention provisoire de Murielle Bolle, la belle-sœur de Bernard Laroche.

Un suicide a toujours de multiples causes. Dans celui, probable, de Jean-Michel Lambert, est-ce aussi votre sentiment ?

Sûrement, mais d’abord quel gâchis ! Et un gâchis qui continue. Depuis quelques années, on reparlait régulièrement de ce dossier, et Marie-Ange Laroche ne pouvait pas faire le deuil de son mari, car revenaient ces accusations contre lui. C’était impossible. Et là, une nouvelle victime. Quel désastre !

Aviez-vous encore des contacts avec lui ?

Oui. Après le procès devant la cour d'assises de Dijon en 1993, on se parlait parfois au téléphone, une ou deux fois par an. Depuis sa retraite, il donnait le sentiment d'avoir pu décrocher, mais cela restait dur, très lourd. Il y a quelques années il avait dit qu'il pensait, parfois, par flashs, au suicide (lire ci-dessus)… Que s'est-il passé ? Je ne crois pas que les écrits ressortis du juge Simon, qui dénonçaient son instruction, en soient la cause, mais à chaque fois, il vivait mal ses plaies qui se rouvraient. Il avait été très mal traité lors du procès. Depuis juin, avec ce nouvel emballement, on peut imaginer qu'il n'était pas bien.

Vous parlez de gâchis…

Oui. Il y a la mort de Grégory, d'abord, puis Bernard Laroche assassiné le 29 mars 1985 [par Jean-Marie Villemin, le père de Grégory, ndlr]. Maintenant, le suicide de Jean-Michel Lambert. Sans oublier, la quatrième victime, bien sûr, la justice.

Quel regard portiez-vous sur le juge Lambert dans les premières années de l’instruction ?

C'était un jeune magistrat, honnête, sensible. Un magistrat seul, qui n'a pas été aidé. Il occupait deux postes à lui tout seul. En pleine affaire, il devait tenir des auditions sur des dossiers d'alcoolémie. C'était absurde. Cela m'a toujours choqué quand on parlait de lui en le qualifiant de «petit juge». Il n'y a pas de «petits juges», il n'y a pas de juges plus grands que d'autres. Il a été pris, comme d'autres, dans le piège médiatique. Mais c'est quelqu'un qui a toujours essayé d'être honnête avec lui-même, et avec les justiciables. Dans ce drame, il faut se demander : pourquoi y a-t-il eu tant de journalistes à se ruer sur ce fait divers malheureux ?

Et votre réponse ?

Au début, il n'y avait que deux journalistes à Epinal qui suivaient l'histoire. Si les enquêteurs et le procureur n'avaient rien dit, l'histoire n'aurait jamais connu cet emballement. Entre le 16 octobre 1984 et le 5 novembre, date de l'arrestation de Bernard Laroche, Jean-Michel Lambert n'a rien dit, il n'a pas fait une déclaration [même si en parallèle, il avait des contacts privilégiés avec des journalitstes, ndlr]. Alors que les enquêteurs ont tenu, eux, deux à trois conférences de presse par jour. Ils ont ouvert les vannes, se sont mis une pression énorme, démesurée. On ne pouvait plus travailler sereinement. Le piège était en place.

Et le juge est tombé dedans…

Oui, mais pas au début. Et personne ne l’a aidé, ensuite.

Aujourd’hui, comment ressentez-vous la situation ?

C’est extrêmement lourd, pénible pour tout le monde. S’il y a quelque chose de nouveau, bien sûr, c’est important de rouvrir le dossier. Mais si ce sont juste des hypothèses, à quoi bon ? On risque de susciter des pressions, et de fabriquer des drames. Là, qu’y a-t-il eu de nouveau ? La question n’est pas le revirement de Murielle Bolle, mais si ce qu’elle a dit est confirmé par les faits. Ensuite, quand même ! Bernard Laroche a été tué, on l’a accusé d’avoir enlevé et puis tué Grégory. Aujourd’hui, trente ans plus tard, on l’accuse de l’avoir juste enlevé. Faudra-t-il attendre trente ans pour qu’on l’innocente complètement ?