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Libération
«Le choc des photos»

Nice : La justice laisse passer «Paris Match»

Le tribunal de grande instance de Paris a finalement décidé jeudi soir de ne pas faire retirer des kiosques le magazine, qui avait choisi de publier, un an après l’attentat du 14 Juillet, des images du camion et des victimes.
A Nice, quelques heures après l’attaque.  (Photo Jean-Pierre Amet. Divergence)
par Jeanne Laudren et Anthony Cortes
publié le 13 juillet 2017 à 20h46

«Soudain, le camion kamikaze», titre Paris Matchdans son édition de jeudi, à l'intérieur des pages de son dossier «Nice, un an après les rescapés racontent». Un récit en images qui aurait pu valoir au magazine, assigné en référé par le parquet de Paris, le retrait des kiosques de son numéro du 13 juillet ainsi qu'une astreinte de 50 000 euros par jour de retard. Telle était la réquisition du procureur.

Mais la justice en a décidé autrement. L'hebdomadaire reste en kiosques. Pour autant, le tribunal jugeant que deux des images portaient atteinte à la dignité des victimes, toute nouvelle publication papier ou reproduction numérique de celles-ci est désormais interdite pour le magazine. En cas d'entorse à cette interdiction, l'hebdomadaire risque une amende de 50 000 euros par infraction.

A l'annonce du jugement, Eric Morain, avocat de la Fédération nationale des victimes d'attentats et d'accidents collectifs (Fenvac), est satisfait : «Paris Match est justement sanctionné. C'est désormais le temps du recueillement et du silence.» Pour lui, ce jugement fera «assurément» jurisprudence.

Lors de l'audience, le procureur Olivier Christen et Marie-Christine de Percin, l'avocate du magazine, ont échangé leurs arguments avec véhémence. «Il n'y a pas d'information ici, il y a du commerce, du sensationnel sur la douleur», arguait le premier, tandis que la seconde lui rétorquait : «On vise le droit à l'information».

Dans le dossier, avant un récit sur la vie actuelle des survivants, on trouve un ensemble de photos du soir de l'attentat de Nice où l'on voit le camion foncer dans la foule, ainsi que des images issues du système de vidéosurveillance de la promenade des Anglais auxquelles les «reporters ont eu accès», explique l'article. Deux doubles pages censées «rendre hommage aux victimes», expliquait mercredi Olivier Royant, le directeur de la rédaction, dans un édito publié sur le site du magazine. Un «hommage» qui n'est pas acceptable, ni pour les associations de victimes ni pour le parquet de Paris. Informé mercredi de la publication, il a ouvert une enquête pour violation du secret de l'instruction et recel de ce délit avant d'assigner en référé.

En plus des images de vidéosurveillance, Paris Match reprend des photos issues du téléphone personnel de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, le conducteur du camion-bélier qui a tué 86 personnes. «Paris Match viole le secret d'instruction, expliquait Me Eric Morain juste avant l'audience. C'est une curieuse manière de rendre hommage aux victimes, la veille de la cérémonie commémorative.»

Pour l'avocate de l'hebdomadaire, citée par un journaliste de France Inter sur son compte Twitter, «c'est le devoir des journalistes de montrer ça. Cette procédure est particulièrement malvenue». L'utilisation des photos issues des caméras de surveillance ? C'est le droit, pour les victimes, de savoir «ce qu'il s'est passé exactement lors de l'attentat commis à Nice», a justifié Olivier Royant dans son édito, plaidant aussi que les images sont des «vues de loin, des plans larges sans identification possible des victimes ni atteinte à leur dignité». Le procureur ne le voit pas ainsi : «Il n'y a aucun doute, […] les victimes sont identifiables et identifiées.»

Le retrait des kiosques d'un journal constitue un cas rare mais pas unique. En 2009, la famille d'Ilan Halimi, victime du «gang des barbares», avait demandé et obtenu le retrait de Choc, un magazine people et sensationnaliste. En cause, la une montrant, trois ans après sa mort, le visage de l'otage, masqué par de l'adhésif, avec un pistolet sur la tempe. Quelques années plus tôt, après l'attentat du RER C, Paris Match (déjà) diffusait la photo d'une victime reconnaissable, sans son accord. Mais, en 2001, l'hebdo a été blanchi par la Cour de cassation, car «la photo ne portait pas atteinte à la dignité de la personne représentée».