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Justice

Des voix s'élèvent pour la reconnaissance du caractère antisémite du meurtre de Sarah Halimi

Quelques jours après les déclarations d'Emmanuel Macron sur Sarah Halimi, cette retraitée juive de 66 ans défenestrée de son propre balcon, les institutions juives de France et les avocats de la famille dénoncent le «déni» de la justice et appellent à la reconnaissance du caractère antisémite de ce meurtre.
Marche blanche, le 9 avril, à Paris, organisée à la mémoire de Sarah Halimi, en présence de la famille. (Photo Plume Heters Tannenbaum.)
publié le 19 juillet 2017 à 17h55

«Malgré les dénégations du meurtrier, la justice doit faire désormais toute la clarté sur le meurtre de Sarah Halimi.» C'est en ces termes qu'Emmanuel Macron s'est exprimé dimanche lors de la 75commémoration du Vél d'Hiv, sur «l'affaire Sarah Halimi», cette retraitée juive orthodoxe de 66 ans battue et défenestrée de son propre appartement à Paris, dans la nuit du 3 au 4 avril. Suite à la mise en examen le 10 juillet du meurtrier présumé, Kobili Traoré, pour «séquestration» et «homicide volontaire», le président de la République a fait resurgir ce crime, dont la communauté juive dénonce le caractère antisémite depuis trois mois.

Cette nuit-là, K.T., âgé de 27 ans et habitant le même immeuble, se rend d’abord chez la famille D. qu’il connaissait et dont le balcon est contigu à celui de Sarah Halimi. Face à son comportement très excité, la famille prend peur et se séquestre dans l’une des pièces de l’appartement. K.T. enjambe alors le balcon et atteint celui de Sarah Halimi, avant de la surprendre dans son sommeil, de la battre, puis de la faire basculer par dessus le balcon. Le jeune homme est ensuite placé en garde à vue quelques heures, avant d’être transféré à l’hôpital psychiatrique de Saint-Maurice (Val-de-Marne), sans avoir été entendu par les policiers.

Silence radio 

Quelques jours plus tard, l'information judiciaire ouverte pour «séquestration» et «homicide volontaire» provoque déjà la colère des institutions juives de France. «Ce serait tuer Mme Halimi deux fois que de ne pas reconnaître ce chef d'accusation aggravant» avait ainsi déclaré Francis Kalifat, le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif). Face à la colère et l'émoi de la communauté juive, rassemblée le 9 avril devant l'immeuble de Sarah Halimi à l'occasion d'une marche blanche, le procureur de Paris François Molins avait reçu le grand rabbin de France, Haïm Korsa, le président du Consistoire, Joël Mergui, le président du Fonds social juif unifié (FSJU), Ariel Goldman et le directeur général du Crif, Robert Ejnes. Lors de cet entretien, il leur avait assuré qu'«aucune piste» ne serait écartée et qu'il se chargerait «personnellement» d'examiner le dossier. En parallèle, un rapport d'expertise psychiatrique prévoyait de statuer sur l'état psychologique du meurtrier présumé, et donc sur sa responsabilité pénale. Puis, silence radio… Jusqu'à la mise en examen de K.T. le 10 juillet, qui ne retient ni la préméditation ni la circonstance aggravante antisémite.

Toujours interné en hôpital psychiatrique depuis les faits, le jeune homme a reconnu devant la juge d'instruction connaître la confession religieuse de la victime «à sa façon de s'habiller, avec des habits traditionnels», et à celle de ses enfants, «qui avaient la kippa». Dans son interrogatoire de première comparution, que Libération s'est procuré, il nie pour autant catégoriquement les motivations antisémites de son acte. Le soir du meurtre, le jeune homme affirme avoir fumé une dizaine de joints et s'être senti «comme possédé», «oppressé par une force extérieure, une force démoniaque». Des réponses que MBuchinger, l'avocat des enfants de la victime, aimerait voir éclairées «par les conclusions du rapport d'expertise» psychiatrique, attendues avant la fin de l'été. A ce stade, le suspect reste «quelqu'un de tout à fait cohérent qui se rappelle de tout avec force détails», a ainsi expliqué l'avocat.

«Le deuil ne peut pas commencer»

La prise de position d'Emmanuel Macron à ce stade de l'instruction vient conforter les avocats de la famille Halimi et les institutions juives de France. Lors d'une conférence de presse mardi, Mes Buchinger et Kaminski ont tous deux dénoncé le «déni» de la justice dans cette affaire. «C'est vouloir banaliser purement et simplement cette affaire, banaliser l'acte terroriste, l'acte islamiste, l'acte antisémite», a ainsi déclaré MBuchinger. Et MKaminski d'ajouter : «Il n'est pas possible […] de ne pas mettre dans le débat judiciaire ce qui interpelle une grande partie de la société allant de sa base jusqu'à même le président de la République.» A leurs côtés, Joël Mergui, le président du Consistoire, a plaidé pour que justice soit rendue aux enfants de Sarah Halimi : «Tant qu'on est dans un doute et dans des interrogations, le deuil ne peut pas commencer.» De son côté, le parquet de Paris a réagi en précisant qu'une information judiciaire est en cours «pour faire toute la lumière sur les circonstances qui ont conduit au passage à l'acte criminel», assurant qu'une «commission rogatoire, des expertises techniques, une expertise psychiatrique» se déroulent encore. Dans les prochains jours, Me Buchinger compte «solliciter le procureur pour obtenir un réquisitoire supplétif», qui permettra de reconsidérer ou non les chefs d'accusation.