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Libération
Récit

Le général de Villiers obligé de rendre les armées

Après une semaine de tensions entre le Président et le chef d’état-major concernant la coupe budgétaire de 850 millions d’euros annoncée pour la Défense, ce dernier a remis sa démission mercredi matin.
Pierre de Villiers observe le bain de foule du Président, le 14 juillet sur l’avenue des Champs-Elysées. (Photo Marc Chaumeil)
publié le 19 juillet 2017 à 20h46

Est-ce la fin d'une crispation ou les prémices d'une crise plus profonde ? Le général Pierre de Villiers a annoncé mercredi matin sa démission dans un communiqué rendu public à l'heure du Conseil de défense à l'Elysée. «Dans les circonstances actuelles, je considère ne plus être en mesure d'assurer la pérennité du modèle d'armée auquel je crois pour garantir la protection de la France et des Français, aujourd'hui et demain, et soutenir les ambitions de notre pays», écrit Villiers. Sa décision conclut une semaine de tensions entre le chef d'état-major des armées et Emmanuel Macron.

Premier acte le 11 juillet : dans le Parisien, le ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin, annonce des économies de 4,5 milliards dans le budget 2017. Pour la Défense, ces coupes s'élèvent à 850 millions d'euros, soit le surcoût des opérations extérieures (Sahel et Levant) et intérieure (Sentinelle), jusqu'ici pris en charge par l'ensemble des ministères. La nouvelle bruissait depuis le début de la semaine, poussant la ministre des Armées, Florence Parly, à annuler des déplacements pour tenter de convaincre Edouard Philippe. En vain, donc. Mercredi dernier, le sujet est abordé à l'Elysée, lors du Conseil de défense hebdomadaire. Villiers fait part de son opposition à cette coupe et aurait même repris la parole après sa ministre de tutelle pour insister. Cette expression aurait irrité Macron et son entourage. Le chef d'état-major ne relâche pas ses efforts dans les heures qui suivent. Entendu par la commission de la défense de l'Assemblée nationale, il dit tout le mal qu'il pense de la nouvelle donne budgétaire lors de cette audition à huis clos. Une phrase sort dans la presse : «Je ne me laisserai pas baiser comme cela.»

Pas en arrière

La nouvelle passe d’autant plus mal que le candidat Macron n’avait jamais parlé d’une coupe en 2017. Il s’était même engagé sur la pente inverse, assurant, comme la plupart de ses concurrents, amener le budget de la défense à 2 % du PIB en 2025, soit environ 50 milliards d’euros, contre 32,7 aujourd’hui. Un saut de géant, surtout dans le contexte actuel, qui commence donc par un pas en arrière.

Le sénateur PS Daniel Reiner, qui a rédigé un rapport sur le sujet, a calculé qu’il faudrait une augmentation de 2 milliards par an pour y arriver. Malgré la diminution en 2017, l’exécutif maintient son objectif, par la voix du Premier ministre, puis du président de la République.

Emmanuel Macron le dit solennellement jeudi soir dernier, lors du traditionnel discours aux militaires, à l'hôtel de Brienne. Il veut toujours atteindre 2 % en 2025 et promet une augmentation du budget de la défense en 2018. De cette longue prise de parole, c'est surtout les remarques du chef des armées, très sèches, qui sont retenues. Sans le nommer, Macron corrige Villiers : «Je considère qu'il n'est pas digne d'étaler certains débats sur la place publique. J'ai pris des engagements. Je suis votre chef. Les engagements que je prends devant nos concitoyens et devant les armées, je sais les tenir. Et je n'ai, à cet égard, besoin de nulle pression et de nul commentaire.» Une gifle. La présidente PS de la commission de la défense à l'Assemblée sous le quinquennat précédent, Patricia Adam, s'en désole : «On ne peut pas humilier le chef d'état-major des armées devant ses hommes.» Le lendemain, lors du traditionnel défilé du 14 Juillet, Villiers apparaît les mâchoires serrées au côté du Président, dans le command-car qui descend les Champs-Elysées. Le chef d'état-major allait-il démissionner ? Après tout, il venait d'être prolongé un an à ce poste alors qu'il aurait pu prendre sa retraite. Allait-il se battre jusqu'au bout pour le budget des armées ? Macron laissait la porte ouverte à son départ dans le Journal du dimanche : «Si quelque chose oppose le chef d'état-major des armées au président de la République, le chef d'état-major des armées change.»

«Vertu vivante»

Depuis, les observateurs guettaient les signaux subliminaux d'une possible démission. Villiers poste sur Facebook, le même jour, un long texte, comme il l'a déjà fait auparavant, intitulé «Confiance». Cette adresse à un «jeune engagé», beaucoup plus partagée sur le réseau social que les précédentes, se terminait ainsi : «La confiance est une vertu vivante. Elle a besoin de gages. Elle doit être nourrie jour après jour, pour faire naître l'obéissance active, là où l'adhésion l'emporte sur la contrainte. Une fois n'est pas coutume, je réserve le sujet de ma prochaine lettre.» D'aucuns y lisent un départ à venir. Quand, dimanche après-midi, l'état-major poste sur Twitter une phrase du même acabit («Une histoire de confiance»), avec en illustration la photo d'un militaire hélitreuillé, on a du mal à ne pas y voir un clin d'œil à l'image du président de la République suspendu dans les airs au-dessus du sous-marin nucléaire lanceur d'engin qu'il avait visité début juillet.

Lundi, devant ses adjoints qu’il a réunis, le général de Villiers assure ne pas avoir encore pris sa décision. Une hésitation qu’il lie à la difficulté de trouver un successeur. Le Président choisira finalement François Lecointre, chef de cabinet militaire à Matignon. L’exécutif l’a annoncé dès mercredi matin, la démission de Villiers à peine rendue publique. Et dès jeudi, Macron et son nouveau chef d’état-major seront ensemble sur la base aérienne d’Istres (Bouches-du-Rhône). De quoi tourner la page médiatique au plus vite.

Au rayon images fortes et communication politique tous azimuts, Macron s'est offert le luxe de commenter la crise ouverte avec les militaires sur France 2 lors de l'émission Vélo Club (lire pages 14-15), en marge de l'arrivée d'étape du Tour de France à Serre-Chevalier. Macron y rend un hommage express au sortant, «un militaire de grande qualité». Au même moment, Villiers quitte le ministère de la Défense au milieu d'une haie d'honneur et sous des applaudissements nourris. A la télévision, juste après le podium du Tour de France, à une heure de très grande écoute, Macron réaffirme sa ligne : «Ce n'est pas le rôle du chef d'état-major» de défendre le budget des armées, mais celui de la ministre, qui est loin d'avoir le poids politique d'un Le Drian. Voilà Lecointre prévenu, il avance en terrain plus que balisé. Florence Parly devait d'ailleurs le recevoir dès mercredi après-midi.

Pendant le Conseil des ministres, le chef de l'Etat avait insisté - c'est assez rare pour le souligner - sur le «tournant» datant de François Hollande pour la revalorisation du budget des armées. Les temps ont changé et «nous ne devons pas avoir une approche de régulation mais de construction», prévient-il, réaffirmant son ambition pour le budget de 2018, sans mentionner les coupes de 2017. Avec la nomination du général Lecointre, c'est une nouvelle génération qui prend les manettes. Le saint-cyrien de 55 ans, six ans de moins que Villiers, a servi au Rwanda et dans les Balkans. Plus récemment au Mali, avant de rejoindre Matignon en 2016.

«Équipe de France»

Aucun des trois chefs d'état-major de la marine, de l'armée de terre et de l'air - tous nommés par Hollande - n'a été retenu par l'exécutif pour prendre la tête des armées. L'emblématique ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian n'a pas rempilé à l'hôtel de Brienne mais a hérité du Quai d'Orsay, où l'a rejoint le discret mais toujours présent conseiller Jean-Claude Mallet. Quant à son ex-directeur de cabinet, Cédric Lewandowski, il est reparti chez EDF. Avec le départ de Villiers, c'est une grosse partie «l'équipe de France» de la défense mise en place pendant le précédent quinquennat qui s'en va. Et une nouvelle qui arrive, entièrement modelée par Macron.

Photo Marc Chaumeil