«Malgré les dénégations du meurtrier, la justice doit faire désormais toute la clarté sur le meurtre de Sarah Halimi.» C’est en ces termes qu’Emmanuel Macron s’est exprimé dimanche, lors de la 75e commémoration de la rafle du Vél d’Hiv, sur «l’affaire Sarah Halimi», cette retraitée juive orthodoxe de 66 ans battue dans son appartement du XIe arrondissement de Paris avant d’être défenestrée, dans la nuit du 3 au 4 avril. A la suite de la mise en examen, le 10 juillet, du meurtrier présumé pour «séquestration» et «homicide volontaire», le président de la République a fait resurgir ce fait divers polémique, dont la communauté juive dénonce le caractère antisémite depuis trois mois.
Colère
Cette nuit-là, K.T., âgé de 27 ans et habitant du même immeuble, se rend d’abord chez la famille D. qu’il connaissait et dont le balcon est contigu à celui de Sarah Halimi. Face à son comportement très excité, la famille prend peur et s’enferme dans une des pièces de l’appartement. K.T. enjambe alors le balcon et atteint celui de Sarah Halimi avant de la surprendre dans son sommeil, de la battre, puis de la faire basculer par-dessus le balcon. Le jeune homme est ensuite placé en garde à vue quelques heures, avant d’être transféré à l’hôpital psychiatrique de Saint-Maurice (Val-de-Marne), sans avoir été entendu par la police.
Quelques jours plus tard, l'information judiciaire ouverte pour «séquestration» et «homicide volontaire» provoque déjà la colère des institutions juives en ne retenant pas le caractère antisémite. «Ce serait tuer Mme Halimi deux fois que de ne pas reconnaître ce chef d'accusation aggravant», dénonce alors Francis Kalifat, le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif).
Face à la colère et l’émoi de la communauté juive, rassemblée le 9 avril devant l’immeuble de Sarah Halimi à l’occasion d’une marche blanche, le procureur de Paris, François Molins, avait reçu le grand rabbin de France, Haïm Korsia, le président du Consistoire, Joël Mergui, le président du Fonds social juif unifié (FSJU), Ariel Goldmann, et le directeur général du Crif, Robert Ejnes.
Lors de cet entretien, il leur avait assuré qu'«aucune piste» ne serait écartée et qu'il se chargerait «personnellement» d'examiner le dossier. En parallèle, un rapport d'expertise psychiatrique prévoyait de statuer sur l'état psychologique du meurtrier présumé, et donc sur sa responsabilité pénale. Puis, silence radio… jusqu'à la mise en examen de K.T. le 10 juillet, qui ne retient ni la préméditation ni la circonstance aggravante antisémite. Toujours interné en hôpital psychiatrique, le jeune homme a déclaré au juge d'instruction connaître la confession religieuse de la victime «à sa façon de s'habiller, avec des habits traditionnels», et à celle de ses enfants, «qui avaient la kippa».
Dans son interrogatoire de première comparution, que Libération s'est procuré, il a pour autant nié catégoriquement les motivations antisémites de son acte. Le soir du meurtre, le jeune homme affirme avoir fumé une dizaine de joints et s'être senti «comme possédé», «oppressé par une force extérieure, une force démoniaque». Des réponses que Me Buchinger, un des avocats des enfants de la victime, aimerait voir éclairées «par les conclusions du rapport d'expertise» psychiatrique, attendues d'ici la fin de l'été. A ce stade, le suspect reste «quelqu'un de tout à fait cohérent qui se rappelle de tout avec force détails», a ainsi expliqué l'avocat.
«Deuil»
Si la pilule ne passait déjà pas pour les avocats de la famille Halimi et les institutions juives de France, la prise de position d'Emmanuel Macron à ce stade de l'instruction conforte les avocats dans leur position. Lors d'une conférence de presse mardi, les défenseurs de la famille ont dénoncé le «déni» de la justice dans cette affaire. «C'est vouloir banaliser purement et simplement cette affaire, banaliser l'acte terroriste, l'acte islamiste, l'acte antisémite», a ainsi déclaré Me Buchinger. Et Me Kaminski, avocat d'un des fils de Sarah Halimi, d'ajouter : «Il n'est pas possible […] de ne pas mettre dans le débat judiciaire ce qui interpelle une grande partie de la société, allant de sa base jusqu'au président de la République.»
A leurs côtés, Joël Mergui a plaidé pour que justice soit rendue aux enfants de la victime : «Tant qu’on est dans un doute et dans des interrogations, le deuil ne peut pas commencer.» De son côté, le parquet de Paris a rappelé qu’une information judiciaire est en cours «pour faire toute la lumière sur les circonstances qui ont conduit au passage à l’acte criminel», assurant que «commission rogatoire, expertises techniques, expertise psychiatrique» se déroulent encore. Dans les prochains jours, Me Buchinger compte «solliciter le procureur pour obtenir un réquisitoire supplétif», qui permettra de reconsidérer ou non les chefs d’accusation.