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Libération
Bilan

Au Front national, séminaire et gueule de bois

Le parti d'extrême droite réunit jusqu'à samedi ses principaux cadres pour soigner ses plaies et préparer sa «refondation».
Marine Le Pen et Florian Philippot, en avril, à Paris. (Photo Patrick Kovarik. AFP)
publié le 21 juillet 2017 à 13h22

Qui a lu les absurdes aventures du baron de Münchhausen se souvient peut-être de cette histoire. Un jour que le héros se promène à cheval, sa monture et lui chutent dans des sables mouvants. Aucun secours à l’horizon ! L’ingénieux baron s’en sort finalement seul, en se tirant lui-même par les cheveux. Une prouesse que le FN ambitionne de reproduire : démoralisé, le parti mise sur un incertain ressort interne pour sortir du marais où l’ont plongé ses dernières défaites. Depuis vendredi et jusqu’à samedi soir, ses principaux cadres se réunissent pour un séminaire au siège du mouvement, à Nanterre. Objectif : tirer les leçons d’une série d’échecs électoraux, préparer la future «refondation» frontiste. Et régler, au passage, quelques comptes entre «patriotes».

Début 2016, un premier séminaire avait déjà suivi l'échec des élections régionales. Partout battu, le FN  s'était timidement essayé à l'autocritique. Sans grandes conséquences : un communiqué irénique avait conclu la réunion, n'annonçant aucune réforme d'envergure. Depuis, la double défaite de la présidentielle et des législatives a convaincu Marine Le Pen de l'urgence d'un véritable examen de conscience. «Tout changer», y compris le nom du mouvement : tel est désormais l'objectif de la députée du Pas-de-Calais. Ces dernières semaines, des groupes de travail thématiques ont réuni les cadres frontistes. Le séminaire doit en restituer les résultats, et préparer une grande consultation des adhérents pour la rentrée. Ses résultats serviront de base à un grand congrès de refondation, début 2018.

Retrait stratégique

Bien des sujets appellent l'attention des séminaristes. À commencer par un débat stratégique qui empoisonne de plus en plus la vie du parti. Face à un Florian Philippot intransigeant sur la question monétaire, et à une Marine Le Pen irrésolue, nombre de hauts cadres semblent désormais acquis à un recul stratégique. Comme le secrétaire général, Nicolas Bay, favorable à un maintien sous conditions de la monnaie européenne : «On pourrait imaginer une évolution plus limitée, avec un renforcement des contrôles nationaux sur la Banque centrale européenne, explique-t-il à Libération. Et un quota de création monétaire pour chaque pays, selon sa part dans le PIB de la zone euro.»

Parmi les autres thèmes de débat, le fonctionnement interne du mouvement, présidé avec désinvolture et sans grand souci de démocratie interne. Sorte de parlement du FN, et censé être convoqué annuellement, le Comité central ne l'a pas été depuis 2014. Dans une contribution écrite rendue publique cette semaine, Florian Philippot a tenté d'introduire d'autres sujets de réflexion. Le vice-président appelle notamment à travailler encore la présentation du message frontiste : «Sommes-nous vraiment aussi clairs et précis qu'on le croit sur l'immigration ? Pourquoi tant de nos compatriotes sont-ils encore persuadés que ce discours est "raciste" ?» Un questionnement mal accepté par ses adversaires, qui y voient le prélude à d'inacceptables reniements.

Une autre question, peut-être la plus importante, semble déjà tranchée : celle du leadership que, faute d’alternative, nul ne conteste à une Marine Le Pen pourtant affaiblie. Selon un récent sondage BVA, 84% des sympathisants FN souhaitent voir celle-ci avoir davantage d’influence sur la vie politique, soit onze points de moins que le mois dernier. Ce taux n’est que de 53% pour Florian Philippot, qui chute, lui, de 23 points.

Réincarnations

Quel que soit le résultat de la refondation frontiste, ce «nouveau départ» est en réalité une vieille histoire, un cycle toujours renouvelé : celui des régulières «réinventions» du FN destinées à rénover son image pour élargir son audience. Cette logique préside, en 1972, à la fondation du Front — issu des ambitions électorales du mouvement radical Ordre Nouveau. Dans les années 80, un effort d’ouverture permet l’intégration de nombreuses personnalités issues de la droite et de la société civile, dont certaines figureront parmi les 35 députés FN élus en 1986. Au cours de la décennie suivante, le numéro deux Bruno Mégret mise tout sur la professionnalisation du parti ; la période verra même une alliance avec l’UDF dans plusieurs conseils régionaux. Mais à chaque fois, la démarche se brise sur les contradictions internes du FN, tendu entre son aspiration à la respectabilité et ses pulsions radicales.

Presque aussi régulier que celui d’un moteur à explosion, ce cycle a pris un nouvel élan avec l’arrivée aux commandes de Marine Le Pen et de sa stratégie de «dédiabolisation». Avant de toucher une nouvelle fois ses limites, avec les échecs électoraux répétés du FN et la piteuse prestation télévisée de sa candidate face à Emmanuel Macron. Voulue plus profonde que les précédentes, la nouvelle mue du FN rompra-elle avec le cycle des réincarnations ? Ou, portée par une présidente dont on commence à mesurer les lacunes, prolongera-t-elle une histoire aux airs d’éternel recommencement ?