Dépister, mais comment ? C’est un des goulots d’étranglement les plus difficiles à détruire dans la prise en charge des malades du sida. Car pour avoir accès aux traitements, encore faut-il que la personne se soit dépistée. En France, on estime qu’il y a près de 30 000 personnes qui ne connaissent pas leur statut sérologique. Dans le monde, les chiffres sont saisissants : trois personnes sur dix, vivant avec le sida, ne savent pas qu’elles ont été infectées par le virus, soit plus de 10 millions de personnes. On est donc encore bien loin de l’objectif fixé par l’OMS, à savoir 90% des personnes diagnostiquées dans le monde et 90% des personnes séropositives traitées pour leur sida.
«Il y avait et il y a urgence à innover sur le dépistage», a insisté Lelio Marmora, directeur d'Unitaid, cet organisme qui collecte l'argent venant de la taxe sur les billets d'avion, pour ensuite financer des actions contre le sida. Ce lundi, lors du Congrès mondial sur le sida, il a présenté les résultats de la plus importante opération pour promouvoir l'autotest dans le monde. L'autotest, c'est tout simple : chacun chez soi, dans son coin, recueille sur une tige un bout de salive, ou une goutte de sang, puis la dépose dans une petite timbale, enfin attend quinze à vingt minutes pour avoir le résultat. Cela existe depuis une dizaine d'années, mais sans grand succès. Depuis peu, ces autotests ont été simplifiés, et ont gagné en efficacité, devenant très fiables. (1)
5 millions de tests distribués gratuitement
Unitaid, se spécialisant dans des opérations innovantes, s’est alors lancé dans un vaste programme de diffusion de l’autotest. Et d’abord dans trois pays africains : le Malawi, la Zambie et le Zimbabwe. Pour ensuite s’étendre vers l’Afrique du Sud, le Lesotho et le Swaziland. L’objectif est clair : savoir si les personnes accepteront ce dépistage solitaire. Le programme d’Unitaid est d’importance : s’étalant de 2015 à 2020, ce seront 5 millions d’autotests qui seront distribuées gratuitement, avec un coût total de près de 100 millions d’euros.
«Nous avons les premiers résultats sur les trois premiers pays africains, et ils sont vraiment très positifs, a détaillé Lelio Marmora. Nous les avons donc mis en accès libre dans des centres de santé, dans des pharmacies, dans des locaux d'association, bref dans des lieux faciles d'accès.» Manifestement, ces autotests ont été bien acceptés. Dans les communautés rurales, entre 60% et 90% des personnes ont pris le test. Ensuite, ceux qui se sont révélés positifs étaient conduits dans des centres de soins, pour un test de vérification. Puis, si la personne était effectivement séropositive, le traitement débutait. «Nous avons réussi à toucher un taux important de personnes qui n'avaient pas fait le test, explique Unitaid. Des jeunes, des personnes à risques, des personnes qui n'osaient pas entrer dans un lieu de dépistage de peur d'être vues, voire stigmatisées. Il y a eu très peu de refus.»
50 pays d’Afrique et d’Asie
Bref, l'autotest peut bouleverser les pratiques de dépistage. Et représenter une possibilité pour atteindre enfin ces 10 millions de personnes qui ignorent leur statut sérologique. Pour l'heure, l'opération d'Unitaid va s'étendre. La fondation Bill et Melinda Gates s'est engagée à fournir gratuitement ces dispositifs dans 50 pays d'Afrique et d'Asie. «Toutes ces actions ont des conséquences importantes sur les prix de ces autotests, a poursuivi Lelio Marmora. Récemment, la fondation a injecté 20 millions de dollars [plus de 17 millions d'euros] pour faire baisser les prix. Aujourd'hui, le fabricant nous les facture 2 euros, hier c'était trois. Il faut arriver à un euro.» A titre d'exemple, aux Etats-Unis, le même test est vendu près de 45 dollars.
(1) En France, l'année dernière, autour de 100 000 autotests ont été réalisés.