La scène de crime, encore préservée la veille, est désormais accessible. Du petit champ agricole longeant la départementale, il ne reste qu’un tas de cendres et quelques arbres noircis. Les faits se sont déroulés le 15 juillet, sur la route reliant Saint-Cannat à Pélissanne, dans le département des Bouches-du-Rhône. Ce jour-là, il faisait chaud à faire craquer les herbes sous le pied. C’est à peine si le vent, soufflant en rafales, allégeait l’atmosphère étouffante. Aux alentours de 15 h 30, quelque chose s’est produit sur ce coin de bitume. Un geste, peut-être anodin, qui a pourtant embrasé quelque 750 hectares de forêt dans le prolongement du champ, menaçant jusqu’aux habitations du village voisin d’Eguilles. Plus de 700 pompiers ont bataillé tout un week-end pour maîtriser les flammes. Un carnage, qui a inauguré la triste saison 2017 des incendies dans le sud de la France.
Jusqu'à la semaine dernière, les pompiers s'activaient encore à Saint-Cannat sur les contours du feu, éteignant les derniers foyers fumants sur fond de paysage lunaire. L'odeur âcre qui imprègne toujours l'air devrait disparaître avec les premières pluies. La forêt, elle, est morte. C'est aux gendarmes de Salon-de-Provence, désormais, de retrouver le coupable. Pour orienter leurs recherches, les enquêteurs bénéficient déjà d'un rapport détaillé rédigé par un trio d'experts : surnommée «cellule Vulcain» dans le Var, où l'initiative est née en 2003, cette unité interservices associe des pompiers, des gendarmes et des agents de l'Office national des forêts (ONF). Le principe : dès les premières flammes domptées, chaque composante dépêche un de ses membres spécifiquement formés pour rechercher le point de démarrage de l'incendie et tenter de définir la cause de départ du feu. «Chacun apporte son expertise : le pompier son expérience du feu, l'agent ONF sa connaissance de la végétation, le gendarme ses compétences d'enquêteur…» détaille Vincent Pastor, expert du Sdis 13, le Service départemental d'incendie et de secours, et pionnier du dispositif dans les Bouches-du-Rhône.
Lecture de traces. Dans le département, la cellule Vulcain, rebaptisée RCCI - pour Recherche des causes et circonstances d'incendie -, compte aujourd'hui une quinzaine d'hommes formés sur le terrain. Et il y a de quoi faire : avec plus de 300 départs de feu par an, le département est l'un des plus exposés de l'arc méditerranéen. En 2016, année catastrophique, 4 795 hectares ont brûlé. Près de 2 700 étaient partis en fumée dans le seul incendie de Rognac, le 10 août. A chaque gros départ de feu ou lorsque l'origine de l'incendie n'est pas claire, la cellule RCCI est activée par les autorités. Les premiers témoignages permettent généralement de cerner un périmètre d'étude initial. A partir de là, le trio gendarmes-ONF-pompiers tente de remonter au plus près du point de départ de l'incendie, en procédant à une lecture de traces. «Tout ne brûle pas de la même façon, explique le gendarme Christophe Schmitt, également technicien en identification criminelle (TIC) régulièrement appelé sur les incendies. Il y a différents degrés de carbonisation selon si on est au début du feu ou dans une zone où il a pris de la force.» Les enquêteurs s'intéressent d'abord aux macro-traces, les plus évidentes, comme les végétaux soumis au phénomène de «pétrification» : «En passant, le feu dessèche le végétal et fige les feuilles et les branches, qui se tordent en donnant le sens de progression de l'incendie» , poursuit Christophe Schmitt. Les experts enquêteurs suivent alors le chemin inverse.
Pour marquer leur avancée, la cellule plante des drapeaux de couleur : rouge pour dire que le feu va vers l'avant, jaune quand il s'écarte sur les côtés ou qu'il recule, blanc quand un point ou un objet mérite attention. Au fur et à mesure qu'ils progressent et que la zone s'affine, les enquêteurs s'intéressent à des traces plus infimes : une pierre, une feuille, un cadavre d'insecte… ou d'escargot. «Si on devait avoir un logo pour notre cellule, on prendrait sa coquille ! rigole le technicien forestier à l'ONF et référent RCCI Mathieu Benquet. C'est l'élément qui marque le mieux la chaleur : sa fine couche de calcaire éclate au moindre coup de chaud. On obtient un marquage dissymétrique qui nous permet de voir de quel côté arrive le feu.» Grâce à ces éléments, associés aux données météorologiques, les enquêteurs tentent d'approcher le point zéro de l'incendie, avec plus ou moins de précision selon les circonstances. «Si la zone n'a pas été trop souillée pendant la lutte contre le feu, on peut arriver à une surface de 1 m2 à 2 m², relève Mathieu Benquet. Mais cela peut aller jusqu'à une vingtaine de mètres…»
De quoi rallonger l'étape suivante, celle du «rapatronage» - la fouille du sol. Une fois le périmètre de départ défini, l'équipe déploie ses outils : un tamis, un pinceau et une pince à épiler pour les détails, et un instrument pour mesurer les traces d'hydrocarbure qui ont éventuellement servi à démarrer le feu. Tout est passé au crible : mégot, chiffon, cannette, papier… Les dispositifs de mise à feu sont plutôt rares, les incendiaires se contentant, le plus souvent, d'une cigarette piquée d'une allumette ou d'un simple coup de briquet. A ce stade de l'enquête, toutes les hypothèses sont envisagées. «Au départ, il faut garder une approche neutre, technique, pour ne pas fausser le débat,indique Mathieu Benquet. On examine tout. Même si, quand ça fait quinze fois que l'on vient au même endroit en un mois, on sait à quoi on a affaire…» Mais les cas de pyromanie sont très loin d'être majoritaires, insiste Vincent Pastor du Sdis 13 : «Environ 30 % des incendies sont d'origine malveillante. Parmi eux, il faut distinguer l'incendiaire qui brûle par intérêt ou par vengeance, du pyromane, qui est atteint d'une pathologie médicale. Pour le reste, il doit y avoir 5 % à 6 % d'incendies d'origine naturelle. Reste 65 % des feux liés à l'activité des hommes : travaux, circulation des voitures, des trains, les jets de mégot…»
Débroussailleuse. C'est à partir de cet «arbre des causes» que la cellule RCCI va entamer son travail d'analyse pour isoler le «coupable» :«La méthode, c'est fermer des portes, explique Vincent Pastor. On travaille à décharge, en éliminant au fur et à mesure les hypothèses.» Dans le cas de l'incendie de Saint-Cannat, la cause naturelle a été rapidement évacuée : il n'y a pas eu d'orages ce soir-là. Pas besoin de dégainer le logiciel permettant aux enquêteurs de déterminer précisément où la foudre a frappé. Autre piste écartée, un accident lié à des travaux - une disqueuse, un vieux tracteur ou une débroussailleuse sont parfois à l'origine d'un feu. Pas de lignes électriques non plus dans les parages, ni de voie ferrée - le frottement du train peut générer des incendies. Rien, pour l'heure, n'atteste d'un acte malveillant. En revanche, la piste du mégot balancé par un automobiliste est privilégiée, a rapidement indiqué le vice-procureur de la République d'Aix-en-Provence, soulignant que «le départ de feu se situe en bordure de route».
A Saint-Cannat, l'enquête de la cellule RCCI bouclée, c'est aux gendarmes de la ville de Salon-de-Provence de prendre le relais. Analyse de la téléphonie, des témoignages des primo-arrivants sur les lieux, de la vidéoprotection… Le colonel Benoît Ferrand, qui dirige le groupement de gendarmerie départementale, préfère rester évasif pour ne pas faciliter la tâche des incendiaires. «Ces enquêtes sont très complexes, précise-t-il. Le comportement même des incendiaires est difficile à analyser, tout comme de déterminer le caractère volontaire ou non d'un incendie.» L'enjeu, une facture judiciaire radicalement modifiée : un incendie intentionnel, du ressort des assises, est puni d'une peine pouvant aller jusqu'à trente ans de réclusion criminelle. Lorsqu'il est involontaire, la loi prévoit trois ans de prison et 45 000 euros d'amende.
Mais comment retrouver un jeteur de mégot, un randonneur imprudent ou un gamin jouant avec son briquet ? «Le taux d'élucidation est assez faible, admet le procureur adjoint à Aix, Emmanuel Merlin. D'autant que pour les incendies, on est souvent en rase campagne, où il n'y a que peu de présence humaine, peu de vidéosurveillance… On en attrape quand même, mais c'est difficile.» En 2016, dans la zone de compétence du tribunal, sur 158 feux, 114 enquêtes ont été diligentées. Et sur les 70 incendies d'origine humaine, volontaires ou pas, les auteurs ont été identifiés dans une vingtaine de cas seulement. Parmi eux, celui du feu géant de Rognac : en novembre, les gendarmes mettent en examen un maçon qui avoue avoir jeté son mégot sur un tas de bois. Ce jour-là, il travaillait seul sur un chantier de construction, malgré l'interdiction préfectorale. «On pourrait éviter une grande partie de ces incendies accidentels, martèle Vincent Pastor. Une des missions de la cellule RCCI est de comptabiliser ces incendies et leur origine afin de transmettre ces informations aux autorités et d'orienter la prévention. Les gens doivent savoir que l'on peut tous être auteurs de grands incendies. Au-delà de l'aspect judiciaire, il y a le traumatisme que cela peut causer : il faut le porter, après. D'où l'importance d'avoir un comportement responsable.»