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Interview

Emmanuel Macron : «Pas un seul migrant à la rue, cela veut dire créer de nouveaux centres de premier accueil»

Alors qu' Emmanuel Macron a affirmé vouloir «loger tout le monde dignement», le directeur de France terre d'asile Pierre Henry revient sur les enjeux migratoires qui attendent le gouvernement.
Paris, le 7 juillet 2017. Evacuation des campements sauvages de migrants installés porte de la Chapelle. (Photo Albert Facelly pour Libération)
publié le 27 juillet 2017 à 18h42

Alors qu’Emmanuel Macron a affirmé ce jeudi dans un discours sur l’accueil des migrants à Orléans vouloir

«loger tout le monde dignement»

, le directeur de France Terre d’Asile Pierre Henry, qui a soutenu le candidat En Marche, revient sur les enjeux migratoires qui attendent le gouvernement.

Photo Pierre Andrieu. AFP

Que pensez-vous de l’engagement «plus personne dans les rues» d’ici fin 2017, promis par Emmanuel Macron ?

C’est un combat que nous menons depuis plus de deux ans. Bien évidemment, les demandeurs d’asile ne doivent pas rester dans la rue. Les mots du Président réaffirment cet engagement fort du gouvernement. Maintenant, il va falloir le tenir. Pour cela, la mise en œuvre de moyens et de dispositifs est nécessaire. Pas une seule personne à la rue, cela veut dire créer de nouveaux centres de premier accueil, sur le modèle du centre humanitaire de la Porte de la Chapelle.

Mais le plan migrant présenté par le gouvernement le 12 juillet dernier ne prévoit pas la création de nouveaux centres de premier accueil (CPA) ?

Les mots du Président impliquent donc un amendement du plan migrant, tel qu’il a été présenté il y a quinze jours. Sans nouveaux centres dans les grandes capitales régionales, ça ne peut pas fonctionner. Il faudra donc modifier le plan exposé par le gouvernement.

Le Président a réaffirmé sa volonté d’une réduction du traitement des demandes d’asile à six mois. C’est un objectif ambitieux ?

Si les moyens sont mis en œuvre, cette décision qualitative ne sera pas remise en question. Oui, je pense que cet objectif peut être atteint. Encore une fois, la réduction des délais implique une hausse importante du budget consacré à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). On ne peut pas faire cette réforme avec des moyens constants. Mais quand on dit ça, cela sous-entend la mise en place d’un plan pluriannuel, car réduire les demandes ne se fera pas en quelques mois. On ne peut plus seulement proposer des solutions d’urgence. La volonté d’anticipation, d’harmonisation et d’efficacité du gouvernement est une parole publique importante.

Le Président a aussi évoqué dans son discours «l’inefficacité complète» des reconduites à la frontière, qu’en pensez-vous ?

Ce n’est pas complètement faux. Mais c’est une question complexe, car nous sommes dans un état de droit, avec des règles européennes. D’autant plus que l’éloignement ne se pratique pas de manière collective : chaque cas est différent, les dossiers sont examinés de manière individuelle. Il me paraît légitime de reconduire dans leur pays les personnes qui se sont vues refuser l’asile si cela, et j’insiste sur ce point, ne contrevient pas à la Convention européenne des droits de l’homme.

L’intégration des personnes ayant obtenu l’asile est aussi l’un des principaux défis du quinquennat ?

Les objectifs fixés par Emmanuel Macron sont évidemment nécessaires pour améliorer l’intégration. Sur l’année dernière, près de 36 000 personnes ont accédé au statut de réfugié. Cette proportion n’est pas marginale. En 2017, ce sera la même chose. En France, nos discours de politique d’intégration sont toujours emprunt d’un grand lyrisme. Mais cette politique publique est totalement déficiente, c’est l’enfant pauvre de nos politiques publiques ! Déjà en termes de moyens. Prenons un exemple : pour s’intégrer, il faut pouvoir parler la langue. Or, en France, notre politique linguistique pour les primo-arrivants, c’est 200 heures de cours de Français pour seulement un cinquième de ces primo-arrivants. Ce n’est rien. A titre de comparaison, l’Allemagne prévoit 900 heures d’enseignement linguistique.

Que préconisez-vous pour améliorer l’intégration des réfugiés ?

Déjà, il faut savoir que les réfugiés à qui on a accordé l’accueil mettent, en règle générale, dix ans pour obtenir un emploi stable. Et quinze ans pour se retrouver dans des situations comparables à celle des «natifs». Je ne parle même pas des femmes réfugiées ou de celles accueillies au motif du regroupement familial, dont le taux d’emploi est encore plus faible. Ce qu’il faut absolument, c’est coordonner l’ensemble des acteurs de l’intégration, qui sont aujourd’hui dispersés. En 2015, l’Allemagne a mis en place un plan pluriannuel sur quatre ans, adossé à 75 milliards d’euros de budget. Toutes proportions gardées, je pense que nous devons faire la même chose. Ce processus de programmation nous permettra de rendre notre politique d’intégration plus efficace et plus harmonieuse.