Le Conseil d’Etat impose le minimum humanitaire à Calais. A la suite de sa décision, rendue ce lundi, les autorités sont contraintes de créer des douches, des sanitaires, des points d’eau et d’organiser des départs vers des centres d’accueil et d’orientation (CAO). La plus haute juridiction administrative désavoue ainsi la ville de Calais et l’Etat, opposés à 11 associations et 50 migrants. Fin juin, le tribunal administratif de Lille leur avait déjà donné raison, mais l’Etat et la ville avaient fait appel.
Quelque 500 à 700 migrants sans abri vivent à Calais, en attendant un départ clandestin pour le Royaume-Uni. Ils ont été jusqu’à 10 000 dans la grande «jungle» près de la rocade portuaire, démantelée fin octobre 2016. Après leur retour, quelques semaines plus tard, l’Etat a mené une politique de harcèlement à la fois des migrants eux-mêmes mais aussi des associations, au point d’empêcher les distributions de nourriture et d’eau, dans le but illusoire d’éloigner les exilés du Calaisis. Gérard Collomb, ministre de l’Intérieur, a annoncé lundi la création de deux centres d’accueil dans les Hauts-de-France, à Troisvaux (Pas-de-Calais) et Bailleul (Nord).
Pour Vincent de Coninck, chargé de mission à la délégation du Pas-de-Calais du Secours catholique, la décision du Conseil d'Etat doit être un point de départ pour «changer de logiciel» et en finir avec la théorie de l'«appel d'air» et du «point de fixation». En d'autres termes, ce qui attire les migrants à Calais, c'est l'Angleterre, pas les douches proposées par les associations. Et ce n'est pas en les privant du minimum qu'on les empêchera de venir dans la ville.
La décision du Conseil d’Etat est-elle une victoire ?
C’est une satisfaction, mais pas une victoire. Le Conseil d’Etat a clairement énoncé le fait que les exilés étaient soumis à des traitements inhumains et dégradants, et qu’un choix de politique ne peut pas amener les autorités à traiter les gens de cette façon. C’est une satisfaction, parce que l’appel qu’avaient fait les autorités de la décision du tribunal administratif de Lille était scandaleux. Ce n’est pas une victoire, parce que ce que demande le tribunal (des douches, des latrines, et des points d’eau) ce n’est que le minimum. Ça ne fait pas une politique d’accueil.
Maintenant, que va-t-il se passer ?
On souhaite que les autorités mettent en place le plus vite possible ces points d'eau, ces accès aux douches et aux latrines. On est prêts à faire part de notre expérience et de nos idées si les autorités le souhaitent. La deuxième étape, c'est la mise en place des départs vers les CAO [hébergements provisoires mis en place à l'époque de la jungle pour tenter de vider le bidonville] pour ceux qui souhaitent demander l'asile. Si un hébergement est proposé, il y en aura. Ensuite, il y a une vraie urgence à faire des maraudes pour les mineurs. Ça suppose des gens qui parlent leur langue, qui aillent vers eux, qui les apprivoisent. Pour l'instant, sur le terrain, il n'y a pas eu grand monde, à part quelques maraudes supplémentaires de France Terre d'asile.
Que dites-vous à l’Etat ?
Il est temps qu’il cesse d’être dans le déni de réalité. Il faut passer à un autre logiciel. Il faut arrêter avec l’idée de l’appel d’air, c’est-à-dire l’idée selon laquelle si on pourrit les conditions de survie à Calais, les exilés ne viendront pas, et qu’à l’inverse, si on les améliore, ça fait venir du monde. Calais est un lieu de transit. Tant que cette ville est un lieu de transit, tant que la frontière est fermée et qu’elle est un lieu de pause pour les exilés, il faut les accueillir de manière intelligente. Si on fait un accueil digne, une vraie information, un lieu pour faire des choix réfléchis, on coupera l’herbe sous le pied des réseaux de passeurs. La seconde étape, c’est une politique européenne globale, qui permette aux exilés de demander l’asile où ils le souhaitent. Il faut des lieux de pause partout sur le territoire, et Calais doit en faire partie.
Quelle est la vie d’un migrant à Calais aujourd’hui ?
C’est de se terrer comme un animal. De faire en sorte de ne pas être vu. De cacher ses affaires, de vivre sans rien et de se faire maltraiter par la police en attendant de passer en Angleterre. Ils vivent dehors, ne mangent pas tout à fait à leur faim, ont parfois soif. Certains ont des problèmes de peau, se sentent sales, ont honte d’eux-mêmes, et ne se supportent plus. Ils sont traqués. Il faut que ça s’arrête. Si la décision du Conseil d’Etat contribue à la fin de ce déni de réalité, ce sera une satisfaction.