La polémique est apparue en 2015, lors du crash d'un avion de la Germanwings dont le pilote était diagnostiqué dépressif. Les praticiens auraient-ils dû rompre le secret professionnel et révéler l'état psychologique d'Andreas Lubitz ? Ce droit fondamental est consacré par le code de déontologie des médecins et sa violation peut être sanctionnée d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende. Le code pénal, de son côté, autorise un docteur à informer le préfet si un patient jugé dangereux est susceptible d'acquérir une arme, et condamne toute personne qui s'abstiendrait «volontairement d'empêcher un crime». La question est d'autant plus brûlante aujourd'hui avec le climat sécuritaire lié aux attentats islamistes.
Dans la revue mensuelle de l'Ordre national des médecins, des membres du personnel médical s'expriment sur ce sujet sensible. Parmi les témoignages, le consensus se fait autour d'un même constat : la difficulté de repérer une personne radicalisée, malgré la diffusion d'un document par le ministère de l'Intérieur, recensant les principaux signaux. Mais «tout cela relève de l'impression et de l'intuition», nuance Michel David, psychiatre et vice-président du syndicat des psychiatres des hôpitaux.
L'autre inquiétude concerne la fragilité du secret médical. Les professionnels craignent d'affaiblir cette notion essentielle à leur métier, qui «contribue à instaurer un lien de confiance indispensable dans une prise en charge de qualité». D'autant qu'il existe déjà des dérogations, «25 pages de commentaires» dans le code de déontologie, remarque Jean-Marie Faroudja, président de la section Éthique et déontologie du conseil national de l'Ordre des médecins : «Nous ne voulons pas en ajouter de supplémentaires.»
Dans un contexte sécuritaire, certains médecins adoptent une position relativement ferme. «Il est essentiel que nous soyons intraitables», estime Michel David. «Si nous perdons [la] confiance [de nos patients], nous ne pourrons plus les soigner», s'alarme Jean-Marie Faroudja. Un autre principe, celui du secret partagé, permet déjà de fournir à la marge des informations nécessaires aux éducateurs ou aux juges dans le cas des jeunes de retour du jihad. «Ce sont des situations qui ne sont pas uniquement médicales», abonde Karine Galaup, conseillère médicale en Ile-de-France à l'agence régionale de santé. Ces entretiens pointent surtout la nécessité d'une réflexion globale par la profession sur ce sujet.