Faire une loi prendrait trop de temps… Quinquennat après quinquennat, le débat refait surface. «Il y a un décalage flagrant entre le temps exigé par le mode d'élaboration de la loi et la rapidité attendue par les concitoyens», déclarait François Hollande en octobre 2016. Quelques mois et un nouveau Président plus tard, le sujet revient dans d'actualité. Dans une interview accordée au JDD, le président de l'Assemblée nationale, François de Rugy, annonce qu'il présentera ce mercredi aux députés des pistes pour «bâtir une nouvelle Assemblée». Il suggère notamment d'«accélérer les procédures législatives». Décryptage.
Que propose François de Rugy ?
Le président de l'Assemblée propose de créer 7 groupes de travail composés de dix députés «de toutes tendances politiques». Un des groupes va plancher sur la modernisation de la procédure législative. François de Rugy avance à ce sujet deux pistes de réflexion.
La première consisterait à ne plus solliciter systématiquement les parlementaires pour voter des lois. Actuellement, tout projet ou proposition de loi passe dans un premier temps entre les mains d’une commission spécialisée (il en existe 7 au Sénat et 8 à l’Assemblée). Celle-ci a pour mission de rédiger un nouveau texte qui sera ensuite voté par les députés et sénateurs dans l’hémicycle. François de Rugy souhaite raccourcir le circuit. Il suggère que certaines lois soient débattues, amendées puis votées, uniquement en commission.
En moyenne, sur le quinquennat de François Hollande, les débats dans l’hémicycle ont duré deux fois plus de temps qu’en commission. Entre 2012 et 2017, la commission des lois du palais Bourbon a étudié 171 textes pour 626 heures de réunions. Ces mêmes textes ont ensuite été discutés pendant 1 262 heures par les députés en assemblée plénière.
Autre moyen de gagner du temps : limiter le nombre de navettes. Si une mesure n'est pas adoptée dans les mêmes termes par les deux chambres, le texte navigue à deux reprises entre le Sénat et l'Assemblée jusqu'à ce qu'un accord soit trouvé. «Une fois qu'on a examiné un texte à l'Assemblée et au Sénat, qu'on a regardé si un compromis était possible entre les deux chambres, il faut trancher et décider.» a-t-il déclaré.
Est-ce particulièrement long de faire une loi en France ?
Oui. «Le système législatif français s'appuie sur deux chambres. Mais lorsqu'elles n'ont pas la même sensibilité politique, ce qui arrive régulièrement, cela rallonge considérablement les débats», explique Jean Petaux, politologue et enseignant à Sciences-Po Bordeaux. A cela il faut ajouter toutes les techniques pour ralentir certaines réformes. C'est ce qu'on appelle le "filibustering". Nous avons un droit d'amendement assez libéral donc certains parlementaires l'utilisent pour ralentir le processus par exemple», poursuit le politologue.
Illustrons. Pas moins de 137 537 amendements avaient été déposés en 2006 pour le projet de loi relatif au secteur de l'énergie (comportant notamment la privatisation de GDF). Jean-Louis Debré, alors président de l'Assemblée, expliquait que «même en travaillant 24 heures sur 24», il faudrait plus de 500 jours pour tout étudier. «C'est la rançon de la modernité démocratique», analyse Jean Pétaux. Je reviens aujourd'hui même de Pologne. Le Parlement polonais vient de voter une réforme de la Cour suprême. En 72 heures, tout était réglé et ça n'a pas empêché l'opposition de défendre ses idées», conclut l'enseignant.
Accélerer les débats, une menace pour la qualité des lois ?
Les avis sont partagés. Pour le vice-président de la commission des lois du Sénat, Jean-Pierre Sueur, c'est une évidence. «On peut réfléchir au fonctionnement du Parlement, mais ne tombons pas dans le piège classique qui accuse les parlementaires d'être trop lents. J'ai vu des lois mal faites par excès de précipitation. Une loi de qualité suppose qu'on y passe du temps. La procédure accélérée est une mauvaise idée», explique-t-il.
Pour Yaël Braun-Pivet, présidente LREM de la Commission des lois, l'approche est différente. «Le travail qui sort des commissions est un travail minutieux et de qualité. Nous avons passé plus de 17 heures à débattre de la moralisation de la vie publique, ce n'est pas rien. D'ailleurs il ne faut pas se leurrer : en général ceux qui prennent la parole en séance plénière sont ceux qui ont travaillé le texte en commission. Sans que cela ne nuise à la qualité des textes, ajuster la procédure permettrait surtout d'éviter de répéter 10 fois la même chose», estime la députée.
Pour Jean Pétaux, la qualité des lois est menacée… depuis longtemps : «Les lois sont de moins en moins bien faites. On se perd dans les détails histoire de donner satisfaction à tel ou tel parlementaire. Résultat, certains articles sont contradictoires et inconstitutionnels analyse-t-il. Si certains textes étaient seulement votés en commission, cela n'améliorera rien mais il n'y a pas de raisons que cela aggrave la situation non plus. Le contrôle du Conseil constitutionnel sera bien présent.»
Existe-t-il déjà des mesures pour accélérer le processus législatif ?
En plus du 49.3, la Ve République donne deux autres armes à l'exécutif :
- Le temps législatif programmé. Il s’agit d’un dispositif propre à l’Assemblée nationale qui permet de fixer à l’avance la durée de l’examen d’un texte en séance. Un temps de parole global est ainsi attribué aux groupes parlementaires qui l’utilisent à leur convenance.
- Le vote bloqué. L'article 44.3 de la Constitution prévoit que «l'Assemblée saisie se prononce par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le Gouvernement». Autrement dit, les parlementaires ne votent pas la loi article après article puis amendements après amendements mais le texte en seul bloc.