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Libération
Récit

En Corse, un renouveau sans armes ni violence

Loin de leur réputation de «poseurs de bombes», les nationalistes convertis à la politique s’imposent petit à petit sur l’île de Beauté et partent favoris pour prendre la tête de la collectivité unique, qui verra le jour en janvier.
Gilles Simeoni (g) célèbre l'élection de trois députés nationalistes lors des législatives, le 18 juin à Bastia. (Photo Pascal Pochard-Casabianca. AFP)
publié le 2 août 2017 à 19h06

Pendant cinquante ans, les nationalistes corses ont été cantonnés à un rôle d’opposition. Des décennies durant, les grands partis traditionnels ont vilipendé les prises de position des «poseurs de bombes», agité le chiffon rouge de l’indépendance sous les yeux des électeurs insulaires. Depuis une dizaine d’années, le mouvement nationaliste s’est inscrit dans une dynamique nouvelle, passant du militantisme pur et dur à une formation plus en prise avec les considérations quotidiennes de la population.

Dans une île de 325 000 habitants frappée par le chômage, où plus de 20 % d’entre eux vivent en dessous du seuil de pauvreté, et où le coût de la vie est plus important que sur le continent, les nationalistes ont réussi à s’imposer comme une alternative aux grandes familles de la droite et de la gauche qui régnaient jusqu’à récemment sur la Corse. En s’appuyant sur une importante structure militante de terrain, ils ont su profiter de l’essoufflement des partis traditionnels pour devenir la force politique la plus puissante de l’île.

La branche dite «modérée» s’appuie également sur la grande popularité de son leader, sacré «personnalité préférée des Corses» par les sondages. Avocat d’Yvan Colonna, le charismatique Gilles Simeoni a su séduire bien au-delà de son camp en optant dès le début de son engagement public pour la lutte politique plutôt que l’action violente. En 2014, il souffle la mairie de Bastia à la dynastie Zuccarelli en créant une coalition avec la droite et la gauche. La manœuvre lui vaut des récriminations dans les rangs de sa propre famille politique mais s’avère payante. D’autant que quelques semaines après la victoire bastiaise, le Front de libération nationale de la Corse (FLNC), bras armé du mouvement nationaliste, renonce définitivement à la violence politique. La décision, sans grand retentissement au niveau national, jette les électeurs dans les bras du désormais fréquentable mouvement nationaliste.

Entre-temps, ces derniers ont su imposer leurs thématiques dans le débat. L’amnistie des prisonniers dits politiques, la co-officialité de la langue corse, le statut de résident, la maîtrise de la fiscalité et l’inscription de l’île dans la Constitution font désormais consensus. En décembre 2015, autonomistes et indépendantistes s’allient et s’emparent de la région. Un an et demi plus tard, les législatives confirment la montée en puissance du mouvement nationaliste : trois circonscriptions sur quatre sont remportées par la liste Pè a Corsica («pour la Corse»), avec des scores écrasants.

Un tournant dans le parcours long et semé d’embûches des nationalistes. Lesquels vont tester une nouvelle fois leur popularité dans les urnes en décembre. Forts de leurs récents succès, n’ayant pas eu le temps de décevoir depuis leur arrivée au pouvoir, les nationalistes partent grands favoris des élections territoriales et ambitionnent de prendre la tête de la future collectivité unique de Corse (fusion de l’actuelle et des deux départements, elle verra le jour en janvier).

En attendant le verdict des urnes, Gilles Simeoni rassemble les troupes. Samedi, les trois partis autonomistes ont décidé de s'allier pour constituer un «grand parti de gouvernement», mené par l'avocat bastiais. Reste toutefois à déterminer quelle sera la place réservée aux indépendantistes dans le tableau. Si Corsica Libera, le mouvement de Jean-Guy Talamoni, appelle à une liste d'union dès le premier tour, les nationalistes modérés laissent planer le doute sur «la meilleure tactique électorale» à adopter. Tout en jurant que le «principe de l'alliance est acté».