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Libération
La chute

Docteur Macron et Mister Jupiter

Décisions autoritaires, espaces de confrontation réduits : le premier été du Président affecte sa cote de popularité. Et le décalage entre les paroles, l’image et les actes se fait de plus en plus criant.
Visite de la base des sous-marins nucléaires de l’Ile Longue, le 4 juillet, avec le général de Villiers. (Photo Laurent Troude pour Libération)
publié le 3 août 2017 à 20h06

Macron corrige Macron. Après un début d'été jalonné de bugs au sein de l'exécutif, le flot de critiques qui a déferlé sur l'Elysée avec l'annonce de la baisse des APL a sonné comme un avertissement. Pour le chef de l'Etat, il y a urgence à réintroduire un peu de collectif dans son mode de management. Le 26 juillet, Emmanuel Macron réunit pour la première fois à l'Elysée son premier cercle, aujourd'hui dispersé entre le Château, le gouvernement, l'Assemblée et le parti. L'occasion d'une mise au point sans frais. «Nos pires ennemis, c'est le manque d'ambition dans les réformes et de cohérence dans l'action», soutient-il, appelant les uns et les autres à plus de «coordination». Le lendemain, en Conseil des ministres, le recadrage est plus musclé. «Il faut faire plus de pédagogie des réformes, donner du sens», tance le Président, mécontent d'avoir prêté le flanc aux accusations de «technocratie». «Il assume d'être impopulaire, mais pas pour 5 euros», résume un proche.

C'est occulter qu'en limitant drastiquement le nombre de collaborateurs de ses ministres, le chef de l'Etat les livrait de facto à leurs administrations. Mais l'Elysée n'en est pas à une contradiction près. La scène a quelque chose de surréaliste. Le 19 juillet, après avoir suivi deux heures durant le peloton dans les lacets alpins du Tour de France, Emmanuel Macron évoque avec ce qu'il faut de brillant dans le regard les chronos mythiques de son enfance. Confie son amour pour cette «ferveur populaire» qui depuis toujours accompagne la Grande Boucle. Puis, venant au sujet brûlant du jour, lance un vibrant «hommage» au général de Villiers, «militaire de grande qualité», celui-là même qu'il a humilié publiquement devant ses troupes lors de la traditionnelle réception à l'hôtel de Brienne qui précède le défilé du 14 Juillet. Et dont la démission aussi inévitable que fracassante vient de déclencher la première crise grave du quinquennat. Fait rare, la distance, voire la contradiction, entre les mots et les actes de Macron s'incarne cette fois à l'image. Ce 19 juillet, pour le Président, il y a urgence à resserrer son «lien personnel» avec le peuple, dissiper au plus vite le malaise né du recadrage, «surdimensionné pour le moins» (aux dires même de son entourage) à défaut d'être illégitime, de l'ancien chef d'état-major des armées. Mais aussi à relativiser la portée de son impérieux «Je suis votre chef», dont nombre d'acteurs de la société civile, bien au-delà des armées, commencent à craindre qu'il ne soit un principe général de gouvernement.

«Control freak»

De quoi expliquer, au-delà des broncas catégorielles que génère le serrage de vis budgétaire, la chute de popularité de Macron : selon une enquête Ipsos publiée le 26 juillet, le mécontentement quant à son action a augmenté de 15 points le mois dernier. Un sondage Ifop pour le JDD observe même la plus forte chute depuis 1995 à ce stade du quinquennat… Et ce jeudi, une étude YouGov a confirmé cette tendance à la baisse, avec 36 % de jugement positif (-7 points en un mois). «De caractère, Macron est plutôt jacobin», avait confié l'ex-ministre chiraquien et marcheur engagé Renaud Dutreil durant la campagne. «C'est le Bonaparte du temps du Directoire que va chercher Barras. Il a vraiment le sens de l'autorité. Il se forge une ligne et il décide. C'est cette capacité de décision qui est masquée par son jeune âge.» En manager «control freak», Macron met de fait l'exécutif en coupe réglée. «On est en mode start-up nation», sourit un ministre qui ne voit guère l'utilité de passer par la case Matignon : «Notre interlocuteur principal, c'est l'Elysée . Ils sont réactifs : on a une réponse dans la demi-heure. Avec Matignon, ça prend trois jours minimum…»

La nomination de 11 conseillers communs aux deux têtes de l'exécutif avait donné un avant-goût des intentions de Macron. Le 7 juillet, en corrigeant sans le consulter la feuille de route budgétaire que son Premier ministre venait de présenter aux députés, Macron finit de dissiper la fiction qu'il avait lui-même popularisée d'un partage équilibré des pouvoirs entre un «président qui préside et un Premier ministre qui gouverne». C'est désormais clair, à l'instar de ses deux prédécesseurs, le Président a l'œil sur tout. La critique, elle, est reléguée. Sous couvert de rupture avec deux quinquennats trop bavards, Macron met la presse à distance et raréfie les espaces de confrontation. Lui qui, en plein «Fillongate», disait son «plus grand respect pour le rôle de contre-pouvoir des médias» les enjoint même devant le Congrès réuni à Versailles d'en «finir avec la recherche incessante du scandale, avec le viol permanent de la présomption d'innocence, avec la chasse à l'homme». Une défense quasi pro domo, deux de ses proches, le président du groupe LREM à l'Assemblée Richard Ferrand et la ministre du Travail Muriel Pénicaud, ex-directrice générale de Business France, se trouvant en pleine tourmente médiatico-judiciaire…

Double langage

Ce deux poids-deux mesures, l'autorité judiciaire n'y échappe pas. Mi-mars, alors que Fillon et Le Pen, menacés de mises en examen, réclament une «trêve judiciaire», Macron demande qu'on «laisse la justice travailler» et qu'on cesse de la «critiquer». Le 16 juillet, en présence du Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, lors de la cérémonie commémorative de la rafle du Vél d'Hiv, il n'hésite pourtant pas à interférer dans un dossier en cours d'instruction. «Malgré les dénégations du meurtrier, la justice doit faire désormais toute la clarté sur la mort de Sarah Halimi», cingle le Président. Les juges, qui n'ont jusqu'à présent pas retenu la qualification d'antisémitisme à l'encontre de l'accusé, savent désormais ce qu'on attend d'eux.

Mi-juin, le double langage de l'Elysée devient plus patent encore. Alors qu'il avait félicité Angela Merkel d'avoir «sauvé la dignité collective» en accueillant un million de réfugiés, Macron laisse faire à Calais une répression contre les migrants d'«une exceptionnelle et inédite gravité», selon le Défenseur des droits, Jacques Toubon. «Nous avons un président aimable dans son apparence, souriant et ouvert à l'accueil des réfugiés à Bruxelles ; mais dans la pratique, ce sont des droits fondamentaux qui sont bafoués par le pouvoir exécutif», accuse l'historien Patrick Weil. Pompier pyromane, Macron tente de corriger le tir le 27 juillet à Orléans. Après sa rencontre avec des réfugiés syriens, il redit son souhait de multiplier les centres d'hébergement d'urgence sur le territoire : «D'ici la fin de l'année, je ne veux plus de femmes et d'hommes dans les rues, dans les bois.» De cette volonté, le plan présenté par l'exécutif quinze jours plus tôt ne disait rien…

«Muselière»

Dans l'intervalle, l'intention du chef de l'Etat de transposer dans la loi les principales dispositions d'un état d'urgence, dont il avait dit vouloir «sortir», a amplifié la contestation. Mi-juillet, plus de 500 personnalités du droit dénoncent un projet qui «hypothèque les libertés de tous de manière absolument inédite». Dans une tribune à Libération, Mireille Delmas-Marty, professeure au Collège de France, en appelle même à la résistance face à «la prophétie du despotisme doux». Le feu couve. Pourtant, en fait de «discours de vérité», Macron s'en tient pour l'heure à sa communication lénifiante, entre allocutions évangéliques et diffusion sur les réseaux sociaux de vidéos en direct déclinées à la façon des Martine : Macron en standardiste de l'Elysée, Macron prenant un cours de boxe, Macron jouant au tennis en fauteuil roulant, Macron hélitreuillé à bord d'un sous-marin nucléaire, Macron en tenue de pilote de chasse sur la base d'Istres… Une attitude «pas durable» à en croire un de ses ex-conseillers en com : «A mettre une muselière aux ministres, à refuser de filer un récit national et d'expliquer le pourquoi de son action, il risque de se déconnecter des Français. S'il y a excès d'autorité et raréfaction des espaces de confrontation, les acteurs vont s'exprimer autrement. Macron doit redonner du mou politique.» Il y vient.