Vendredi, 12h45. «C'est votre livreur, je suis en bas.» Douze minutes après notre commande sur l'application Deliveroo, celle-ci nous est livrée à vélo par un jeune homme aux mollets bien galbés. Les yeux rivés sur son téléphone, il attend la prochaine notification lui signalant une future commande. L'étudiant qui «travaille comme un robot» pour la plateforme de livraison de repas depuis août 2016, roule parfois plus de 180 km en une journée. Et peut effectuer une trentaine de courses par jour.
«Convergence». Sami (un pseudo) est l'un des premiers à avoir signé un contrat avec Deliveroo stipulant qu'il serait payé 5,75 euros la course. Jusqu'à présent, deux types de contrats permettaient la rémunération des 7 500 livreurs. Les «anciens», arrivés avant août 2016, bénéficiaient d'un salaire mixte : 7,50 euros de l'heure, auxquels s'ajoute un complément de 2 à 4 euros par livraison et des primes «week-end» ou «pluie». Les «nouveaux» comme Sami, qui représentent 90 % des effectifs, sont payés 5,75 euros la course à Paris et 5 euros en province. Mais le 27 juillet, la direction de la société britannique a décidé de mettre en place «la convergence de la tarification». Convergence par le bas. Désormais, le salaire sera le même pour tous. Quitte à ce que certains perdent 30 % de leur rémunération, d'après leurs estimations.«Nous vous notifions par la présente la résiliation de votre contrat», ont reçu les 600 «anciens» par mail, quelques minutes avant un nouveau contrat.
«Lors de la création de Deliveroo, on ne pouvait pas garantir le nombre de courses, c'est pourquoi nous avons mis en place le contrat mixte. Mais la situation a changé. La demande a explosé et les "bikers" peuvent enchaîner les courses s'ils le souhaitent», justifie la direction de Deliveroo France à Libération.
Licenciés. Ces «anciens» livreurs étaient dans la ligne de mire depuis quelques mois, Arthur Hay en est convaincu. Le secrétaire général du syndicat CGT des coursiers à vélo de la Gironde a travaillé pour Deliveroo d'avril 2016 à février 2017. Du jour au lendemain, il n'a plus pu accéder à l'application. Ce qui, en langage Deliveroo, signifie «licenciement». Comme lui, des dizaines d'«anciens» ont été licenciés sans préavis, «deux à trois collègues par semaine à Bordeaux», témoigne-t-il.
Cela fait plusieurs mois que les cyclistes de la firme protestent contre le «pédaler plus pour gagner plus» imposé par Deliveroo. Ils dénoncent une précarité toujours plus forte et un statut d'autoentrepreneur «aux effets pervers». «On nous vend du rêve, de la liberté. On nous dit qu'on n'a pas de patron sur le dos, mais on l'a constamment dans la poche», dénonce Jérôme Pimot, le fondateur du Collectif des livreurs autonomes de Paris. «Si un restaurant a du retard dans sa commande, la plateforme appelle le livreur pour qu'il accélère. C'est sur lui que repose la pression. Les jeunes deviennent des machines de guerre.»
Pour Arthur Hay, ce n'est que le début : «A la rentrée, l'entreprise recrutera beaucoup, donc les bikers auront moins de commandes et seront moins payés. D'ici quatre à six mois, on passera au "free shift".» Plus de planning, n'importe quel livreur peut travailler quand il veut dès qu'il allume l'application. A la Uber. Une évolution qui n'est «pas d'actualité», comme la baisse du tarif de la course, assure la direction. Pour le moment ?