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Libération
Pics de campagne (1/5)

Hamon-Mélenchon, une danse trop gauche

Retour sur le pas de deux, mais à contretemps, entre le candidat du PS et celui de La France insoumise.
Au «conseil citoyen» de Benoît Hamon, à Paris, le 26 mars. (Photos Rémy Artiges)
publié le 6 août 2017 à 17h26

Nous sommes à quelques heures du mois de juillet. Benoît Hamon s’installe au Terminus, un rade à la sortie du métro Balard. Le futur-ex-socialiste commande un café allongé. Puis, il jette un dernier coup d’œil dans le rétroviseur : le bilan de la présidentielle. Ses erreurs, les coups pieds sous la table des pontes de la rue de Solférino. Il n’oublie rien. Au fil des mots, les passants défilent. Souvent, Benoît Hamon a droit à un regard, un sourire, un mot sympa. La défaite rend certaines âmes sensibles.

La tasse de café se vide lentement. Il se lève, l'addition est payée. Il s'apprête à partir. Soudain, un jeune homme s'approche de lui. Hésitant, les bras ballants. Il se lance : «Pourquoi vous n'avez pas fait une alliance avec Mélenchon à la présidentielle ?» demande-t-il, la tête baissée. Ce n'est pas la première fois que la question est posée à Benoît Hamon. Qui ne trouve toujours pas la bonne réponse. Au mieux, il lâche un «c'est comme ça». Ou bien, un petit «on avait des désaccords». En fait, il aimerait se plonger dans sa nouvelle histoire. Mais la page n'est pas totalement tournée. Les regrets persistent. Alors que tout le monde ou presque connaissait la fin : l'alliance entre Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon était un doux songe malgré la demande, l'envie des militants. Le désir était logique : c'était la seule chance pour la gauche d'atteindre le second tour de la présidentielle, voire l'Elysée.

Hamon sur son nuage

L’histoire débute le dimanche 28 janvier. La presse et quelques supporteurs de Benoît Hamon (qui vient de remporter à la surprise générale la primaire du PS) se tassent dans la cour de Solférino. Une pluie fine tombe. Le nouveau champion, Manuel Valls et Jean-Christophe Cambadélis apparaissent. Une poignée de mains entre les deux finalistes. La photo est prise. Puis, le premier secrétaire du PS s’intercale entre les deux. Tel un arbitre à la fin d’un match de boxe, il lève le bras de Benoît Hamon. Cette scène n’était pas prévue au programme.

Plus loin, la salle de la Mutualité est au bord de l'implosion. Les militants, souvent jeunes, attendent leur nouveau héros. Benoît Hamon arrive un peu avant 23 heures. La sécurité l'encadre. Le socialiste vient de changer de planète. Il est candidat à la présidentielle. Sur scène, il remercie les militants, les curieux. Il prévient : «Chaque génération est un peuple nouveau, c'est à vous de décider quel peuple vous voulez être.» Un sondage tombe déjà : Benoît Hamon approche les 20 %, le double de Jean-Luc Mélenchon. Le frondeur est sur un nuage.

Quelques minutes plus tard, on le retrouve au cinquième étage de la Mutualité. Il est entouré de ses proches. Le champagne coule. Ça rigole fort. Il nous confie : «Dès demain, on se tourne vers l'avenir, pas le temps de tergiverser. On rassemble la famille et on ne reste pas sur les rancœurs. Maintenant, il faut continuer à parler d'avenir et ouvrir le parti.» Benoît Hamon s'imagine faire le lien entre la droite de son parti et le reste de la gauche. Après avoir échangé avec le chef de l'Etat, il promet de contacter, dans les prochaines heures, le candidat des écolos, Yannick Jadot, et celui de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon.

Trois jours après son sacre, on retrouve Benoît Hamon dans son QG, au 11e étage de la tour Montparnasse. Les affaires sont dans les cartons. Le socialiste est à la recherche d'un nouvel endroit, plus grand. En attendant le déménagement, on s'installe dans son bureau pour une interview. Au même moment, Jean-Luc Mélenchon publie une vidéo sur sa page YouTube. Le tribun a l'air fatigué. Un peu sonné. La victoire de Benoît Hamon modifie ses plans. Il s'attendait à affronter Hollande, voire Valls. Pas un frondeur qui place, comme lui, l'écologie au centre de son programme. Cravate rouge, carte de France derrière lui, il s'adresse à «monsieur Benoît Hamon». Le candidat socialiste souhaite lui parler ? «Mais évidemment qu'on doit le faire !» Toutefois, il pose sa condition. Benoît Hamon doit choisir entre lui et les socialistes qui ont soutenu Hollande durant le quinquennat.

Posté à son bureau, le vainqueur de la primaire guette la vidéo d'un œil. L'un de ses proches, Pascal Cherki, arrive avec des hamburgers. C'est l'heure du déjeuner. On se lève, l'interview se termine mais Cherki tient à nous livrer son analyse : «Jean-Luc s'est complètement planté sur la primaire. Il n'a pas voulu y participer parce qu'il ne voulait pas soutenir Hollande ou Valls. Le premier a été empêché, le second s'est fait sortir. Et tout cela s'est passé sans lui ! Il est en train de faire la même erreur que Podemos en Espagne : son électorat, comme le nôtre, veut un programme de gauche, mais il veut aussi le rassemblement !»

Echange de textos

Les jours passent : la campagne de Benoît Hamon peine à décoller. Et Jean-Luc Mélenchon attend toujours de ses nouvelles. Dans l'opinion publique, l'écart se resserre. Ils se neutralisent. L'alliance rôde encore dans certains esprits et dans le cœur des militants. Mais toujours rien de concret. L'espoir s'envole jusqu'au dimanche 26 février. Le site Diacritik balance une info à l'aube. Le titre de l'article : «Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon se sont longuement vus vendredi soir en plein Paris.» Un coup de tonnerre.

La rencontre a eu lieu l’avant-veille. On contacte l’entourage des deux candidats pour en savoir plus. Les infos sont rares. Mélenchon et Hamon ont organisé cette entrevue après un échange de textos. Un rendez-vous secret. Au départ, le candidat de La France insoumise voulait que ça se fasse chez lui, près de la gare du Nord. Benoît Hamon a refusé. Mélenchon a eu le choix du restaurant : le Chilien Moai Bleu, au cœur de Ménilmontant.

A table, ils comprennent très vite que l'accord est impossible car les désaccords sont trop nombreux, notamment sur l'Europe. Le repas dure deux heures et une décision est prise : «Un pacte de non-agression» est signé sur un bout de table. Comprendre : chacun dans son couloir et que le meilleur gagne. Au sein du PS, beaucoup regrettent ce choix. A l'image de Julien Dray : «On ne signe pas un accord avec Jean-Luc Mélenchon, c'est une erreur car en politique, lorsqu'on peut éliminer un candidat, on l'élimine, on ne sympathise pas avec lui.»

Le vent tourne en mars. Cette histoire d'alliance appartient au passé et Jean-Luc Mélenchon fait désormais jeu égal avec Benoît Hamon. Ce dernier se rend compte, chaque jour un peu plus, que ses ennemis sont plus nombreux que ses amis à Solférino. Pour lui, la campagne devient douloureuse. Le 20 mars, le premier débat entre les candidats n'arrange rien. Le socialiste arrive essoufflé. La veille, il était à Bercy pour un grand meeting. Le candidat de La France insoumise est, lui, en pleine forme. Il enquille les punchlines. Elles tournent très vite, tel un gimmick, sur les réseaux sociaux. Sur Twitter, durant le débat, Jean-Luc Mélenchon est mentionné près de 420 000 fois. Un chiffre supérieur à celui de ses adversaires. La responsable de sa communication, Sophia Chikirou : «Je connais mon candidat, sa force, je n'ai pas été surprise par sa prestation. Après chaque émission, on voit de nouveaux soutiens arriver. Cette fois, on a eu beaucoup plus de retours car le débat a été suivi par plus de 9 millions de téléspectateurs.» Hamon tire la langue et regarde le Scud passer. Deux jours plus tard, alors que le socialiste est à Bruxelles pour un meeting, le dernier sondage tombe : Jean-Luc Mélenchon lui passe devant. C'est une première. Le socialiste fait mine de gérer la situation. Il tente de nous faire croire que le soleil reviendra. Mais au fond de lui, Benoît Hamon sait : c'est la fin.

Pour Jean-Luc Mélenchon, c'est différent : le second tour est encore loin, mais il y croit. Dopé par les sondages, il grimpe tel un Lance Armstrong de la grande époque. Ce qu'il ne sait pas, c'est que cette histoire d'alliance va refaire surface à grande vitesse. Invité sur RMC, Manuel Valls oublie ses engagements. Le candidat à la primaire plante Benoît Hamon sur le bord de l'autoroute et roule pour Emmanuel Macron. Le socialiste désigné est furax. Il convoque la presse à son QG. Une déclaration courte, dure. «Ce matin, ce qui est le plus grave pour notre pays mais aussi pour la politique au sens noble du terme, c'est que la démocratie a pris un coup de plus, la parole donnée, la parole signée, devant le peuple, doit être scrupuleusement respectée», cingle Hamon sans citer le nom de son ancien rival. La suite est plus surprenante. Benoît Hamon remet une pièce dans le juke-box : «J'ai déjà réuni autour de moi de grandes familles de la gauche et des écologistes, j'appelle tous les électeurs, ceux qui sont engagés dans la lutte contre les injustices. J'appelle les sociaux-démocrates véritablement attachés au progrès social et à la démocratie mais aussi les communistes, Jean-Luc Mélenchon et tous les insoumis à réunir leurs forces aux miennes.»

«Ils sont dingues au PS»

Le feuilleton reprend, la presse s’enflamme et le PCF demande à Hamon et Mélenchon de se rencontrer afin de mettre au point une candidature commune. Au même moment, le candidat de La France insoumise se trouve au port du Havre, il discute avec les dockers. L’annonce le surprend. On tente de le faire parler, on interroge son entourage. Pas de réponse. Il abordera ce sujet dans la soirée lors de son meeting.

Le temps passe lentement. Un camion du PCF se pose devant la salle. Les militants font griller des merguez. Des curieux, des supporteurs rappliquent. On croise Lucas et Nicolas. Ils viennent d'accéder à la majorité, votent pour la première fois. Ils ont opté pour le tribun à la chevelure grise après avoir feuilleté son programme. «Le plus complet», disent-ils. Et Benoît Hamon ? Nicolas : «Je l'aime bien mais je fais plus confiance à Mélenchon et il a plus de poids que le socialiste.» Lucas : «Mélenchon est en campagne depuis plus d'un an et lors du débat, entre les candidats, tout le monde a capté qu'il était plus solide qu'Hamon.» Pour eux, le ralliement c'est oui mais à une seule condition : le candidat de La France insoumise porte le drapeau.

A l'intérieur de la salle, quelques minutes avant la prise de parole de Jean-Luc Mélenchon, on tombe sur Manuel Bompard, son directeur de campagne. Il dégaine son plus beau sourire et balance : «Ils sont dingues au PS, on n'arrive pas à comprendre à quel jeu ils jouent. Pourquoi ce qui n'a pas fonctionné le mois dernier, fonctionnerait aujourd'hui ?» On comprend alors que le tribun ne saisira pas la main tendue de Benoît Hamon alors qu'il est en position de force. Sur scène, devant plus de 6 000 personnes, Jean-Luc Mélenchon argumente : «J'ai marché avec vous mon chemin, sans céder, jamais. Je ne dépends que de vous. Je ne négocierai rien avec personne.» Depuis, l'ancien candidat à la présidentielle répète à l'envi qu'il a raté le second tour à 600 000 voix. Chez lui, la déception est grande mais les regrets sont invisibles.