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Gauche

Refondation du Parti socialiste : l’image d’Epinay

La déroute à la présidentielle et aux législatives ramène le PS à une autre période compliquée de son histoire. Et les nouveaux dirigeants espèrent en venir à bout, comme l’avaient fait leurs aînés à la fin des années 60.
François Mitterrand, lors du congrès d’Epinay de juin 1971. (Photo Christian Deville. Sipa)
publié le 6 août 2017 à 20h16

Depuis le printemps, la comparaison est en vogue dans la bouche de plusieurs dirigeants du Parti socialiste. Laminé en 2017, les membres du PS vivraient en cette fin de décennie une période similaire à celle que leurs ancêtres avaient connue à la fin des années 60.

Il y a près de cinquante ans, le mouvement socialiste est, comme le PS d'aujourd'hui, dans un bien mauvais état. Réuni au sein de la Fédération de la gauche démocrate et socialiste (FGDS), il vient de perdre sèchement les élections législatives de 1968 : 16,5 % et 57 députés qui débarquent à l'Assemblée nationale avec comme mot d'ordre «l'opposition constructive». L'actuel président de groupe de la trentaine de députés PS sauvés de la vague Macron, Olivier Faure, ne renierait pas l'expression.

Après ces législatives anticipées, dégainées par de Gaulle pour remettre de l'ordre politique après Mai 68, la famille socialiste règle ses comptes. Pour les plus droitiers, c'est l'orientation de celui qui a conduit les législatives, François Mitterrand, qui est en cause. «Notre électorat modéré nous a lâchés, pensent les élus et, plus encore, les battus. Il a eu peur des enragés, des communistes, du désordre. Il faut rassurer, montrer que nous sommes aussi modérés que nos électeurs, se débarrasser de Mitterrand, rompre avec le PC», relate le journaliste Pierre Viansson-Ponté dans Histoire de la République gaullienne. Remplacez «PC», «enragés» et «communistes» par «Insoumis» ou «Jean-Luc Mélenchon» et cette phrase aurait très bien pu être prononcée au printemps par l'ex-ministre proche de François Hollande Stéphane Le Foll.

«Il ne pardonne pas l’absence, la timidité, la volte-face»

En 1968, d'autres ne font pas le même constat. L'aile gauche - et notamment les proches de Jean-Pierre Chevènement - juge cette analyse «fausse» : «La FGDS a perdu des voix, souvent, au profit du PSU [Parti socialiste unifié, fondé par Michel Rocard, plus à gauche que le PS à l'époque, ndlr]. Elle a aussi perdu des voix ouvrières ! Il n'est pas évident que son électorat lui reproche d'avoir été trop loin. Sans doute aurait-il suivi une politique audacieuse : il ne pardonne pas l'absence, la timidité, la volte-face», raconte l'ancien dirigeant PS Pierre Guidoni, dans Histoire du nouveau Parti socialiste. Les proches de Benoît Hamon pourraient eux aussi critiquer «l'absence, la timidité, la volte-face» de François Hollande entre 2012 et 2017 qui a, selon eux, plombé l'étiquette PS.

Autre parallèle : le 7 novembre 1968, poussé dehors par les hiérarques, Mitterrand quitte alors ses fonctions de président de la FGDS et écrit dans sa lettre de démission en parlant de la SFIO : «Il faut maintenant qu'elle se dépasse et se transforme.» Le futur ex-premier secrétaire, Jean-Christophe Cambadélis, n'a pas dit autre chose en quittant la tête du PS après la débâcle législative de juin.

Le PS de 2017 a donc quelques airs de la FGDS de 1968. Jusque dans les scores de la présidentielle de 1969 : comme cette année, la gauche est éliminée dès le premier tour et le candidat socialiste d’alors, Gaston Defferre, tombe à 5 %, loin derrière le communiste Jacques Duclos (21 %) et laissant le centriste Alain Poher et le gaulliste Georges Pompidou au second tour. En 2017, Benoît Hamon n’a guère fait beaucoup mieux : 6,35 %.

Après l’hiver électoral, un été pourrait arriver

Mais ce qui intéresse surtout les actuels «reconstructeurs» du PS, c’est la suite : la «refondation» de 1971 à Epinay-sur-Seine et l’unité (presque) retrouvée du mouvement socialiste, dans un congrès où Mitterrand prend la tête d’une formation renommée entre-temps Parti socialiste et avec comme stratégie celle de l’union de la gauche. Pour les actuels responsables du PS, ce serait la preuve qu’après l’hiver électoral (de 1968 et 1969), un été pourrait arriver plus vite qu’on ne le croit.

Cette idée, on la retrouve chez les amis de Benoît Hamon, prêts, avec leur Mouvement du 1er Juillet, à créer - ils l'assument - une nouvelle FGDS, sans mettre les doigts dans le cambouis de la restructuration du vieil appareil PS. Mais aussi chez la génération de trentenaires et quadras dont est issue la nouvelle direction collégiale provisoire du PS, prête à «transformer» le parti de l'intérieur et pour qui il s'agit d'abord «de réaffirmer l'identité socialiste». Un nouvel Epinay viendrait, pour tous, inexorablement replacer les socialistes dans leur position de première force à gauche.

Il leur faudra alors être patient. Car avant Epinay, il y a eu deux congrès de ce qu’on appelait déjà - bien avant qu’Arnaud Montebourg et Vincent Peillon ne reprennent l’appellation après 2002 - le «Nouveau Parti socialiste». Ces deux rassemblements, à Alfortville en mai 1969 puis à Issy-les-Moulineaux en juillet de la même année, ont vite été évacués des mémoires. Et pour cause : la famille est restée divisée. François Mitterrand et sa Convention des institutions républicaines, tout comme Jean Poperen et son Union des groupes et clubs socialistes ne sont pas à Alfortville. En désaccord avec la ligne politique portée par l’encore puissante SFIO, le futur président de la République réunit ses maigres troupes, le même jour, à Saint-Gratien (Val-d’Oise). A Issy-les-Moulineaux, Mitterrand est toujours absent lorsqu’Alain Savary prend les rênes du comité directeur, sous contrôle de l’indéboulonnable Guy Mollet.

Mais surtout, si le gaullisme sort vainqueur dans les urnes en 68-69, il y a eu les événements de mai, qui vont infuser dans l'opinion des idées de gauche et façonner cette fameuse «majorité culturelle» qui permettra aux socialistes de l'emporter en 1981. Avant 2017, il y a bien eu les mobilisations contre la loi travail et Nuit debout, mais rien de comparable au bouillonnement de 1968.

Nettement moins d’air politique

De plus, en 1969, c’est la droite qui empoche la présidentielle et non le centre, dans une déclinaison du «ni droite, ni gauche». Cela offre, avec un PCF qui entame son déclin, un boulevard aux socialistes. Aujourd’hui, entre un Emmanuel Macron qui a pris ses aises au milieu de l’échiquier et un Jean-Luc Mélenchon et ses Insoumis en conquête sur leur gauche, le PS a nettement moins d’air politique. Enfin, en 1969, la ligne de Mitterrand qui l’emporte à Epinay - union de la gauche - avait été épargnée par la défaite électorale. C’est la ligne centriste, celle de la vieille SFIO, qui a traîné le boulet des 5 % de Defferre à la présidentielle. Des cendres de 68, les socialistes ont mis trois ans avant de lancer le cycle d’Epinay. Si ce dernier s’est achevé à la dernière présidentielle, il va falloir être patient pour que le prochain s’enclenche.