Menu
Libération
Attaque de Levallois-Perret

L’opération militaire Sentinelle, cible des critiques

Instauré après les attentats de janvier 2015, le dispositif qui mobilise jusqu’à 10 000 hommes, a été visé six fois par des attaques. Remis en cause, il sera réajusté à l’automne.
Des militaires devant Notre-Dame-de-Paris, le 15 août. (Photo Alain Jocard. AFP)
publié le 9 août 2017 à 20h46

L'opération se voulait courte, elle s'est installée dans la durée. Depuis janvier 2015, entre 7 000 et 10 000 militaires patrouillent dans les rues des grandes villes dans le cadre de Sentinelle. L'«opération intérieure» a vu le jour après les attentats de Charlie Hebdo et de l'Hyper Cacher pour «protéger, dissuader, rassurer», selon la trinité définie par le ministère de la Défense. Mercredi matin, des soldats du 35e régiment d'infanterie de Belfort, déployés dans ce cadre à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), ont été visés par un homme, qui leur a foncé dessus avec une voiture (lire ci-contre). Le parquet de Paris a ouvert une enquête, confiée à la section antiterroriste. Ce n'est pas une première. Depuis deux ans et demi, les militaires en faction ou en patrouille ont été à plusieurs reprises pris pour cible, au même titre que les policiers.

En mars, un homme de 39 ans avait tenté d'agresser une patrouille dans l'aéroport d'Orly avant d'être abattu. Début février, un Egyptien de 29 ans avait légèrement blessé un militaire avec une machette dans le Carrousel du Louvre, en plein cœur de Paris. Un geste considéré là encore comme terroriste par le parquet de Paris. D'autres précédents, à Valence en janvier 2016 et Nice en février 2015, ont donné à l'opération la réputation de servir de paratonnerre. Selon le ministre de l'Intérieur, Gérard Collomb, c'est «la sixième fois» qu'elle est prise pour cible. «Sentinelle permet de fixer la menace», nous confiait tout en euphémisme un haut responsable français l'année dernière. Jugé risqué, mais surtout peu utile, le dispositif fait de moins en moins consensus.

«S’adapter»

La veille du défilé du 14 Juillet, Emmanuel Macron a pris acte de ces critiques et annoncé, dans son discours à la communauté de la défense, une évolution à venir : «Nous proposerons une nouvelle doctrine d'intervention qui permettra de revenir en profondeur sur l'organisation de Sentinelle afin d'avoir une plus grande efficacité opérationnelle et de prendre en compte l'effectivité et l'évolution de la menace.» Quelques jours plus tard, lors de son déplacement sur la base aérienne d'Istres, son entourage précisait néanmoins qu'«il n'y aura[it] pas un soldat en moins [sur le territoire national] d'ici au 31 décembre 2017».

En visite auprès des militaires patrouillant sur le bassin de la Villette, dans le nord-est de Paris, la ministre des Armées, Florence Parly, a confirmé que «Sentinelle restera en place tant qu'elle sera utile à la protection des Français. Il faut maintenant s'inscrire dans la durée, et déployer nos efforts de façon un peu différente. L'objectif est de s'adapter sans cesse à la menace.»

Le dispositif a déjà connu des ajustements et les missions des militaires ont évolué. Comme le recommandait un rapport du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), les patrouilles mobiles, jugées moins astreignantes, ont remplacé les gardes statiques en septembre. Des adaptations destinées à améliorer le quotidien des soldats et à enrayer le départ des jeunes engagés. Alors que les candidatures ont afflué lors de la vague d'attentats de 2015, beaucoup n'ont pas trouvé ce qu'ils cherchaient. «Quand on nous a dit que l'opération allait durer sur le long terme, il y a eu une vague de départs dans le régiment», témoignait récemment un jeune militaire, cité par le Monde.

«Coup dur»

La haute hiérarchie a bien conscience du problème. «Nos jeunes s'engagent pour l'action et pour voir du pays. Quand on leur dit que leur première mission sera "Sentinelle" à la gare du Nord, cela ne les fait pas rêver. Je ne vais pas raconter des histoires : ils se sont engagés d'abord pour partir au Mali ou sur d'autres théâtres d'opérations extérieurs», expliquait le chef d'état-major de l'armée de terre (Cemat) aux députés de la commission de la défense qui l'auditionnaient le 19 juillet. Pas question, pour autant, de mettre un terme à toute présence sur le sol français, poursuivait le général Bosser : «Quel que soit l'avenir de Sentinelle, je pense que nous n'échapperons pas à un déploiement militaire, sur le territoire national, sur des sites particuliers.»Et faisait une proposition de refonte : 3 000 soldats pour les zones touristiques parisiennes, 3 000 en réserve «en cas de coup dur» (donc d'attentat) et 3 000 consacrés à l'«anticipation». La nouvelle doctrine doit être présentée à l'automne, à la veille de son troisième anniversaire.