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Libération
Interview

Naëlle Dariya (Léa), née en 1987 : «Ça donne envie d'être plus sur le terrain»

publié le 20 août 2017 à 18h56

«J’incarne Léa, une femme trans inquiète des interactions entre les antirétroviraux de l’époque (AZT) avec les traitements hormonaux, un cocktail qui provoquait des effets secondaires imprévisibles et conséquents - et cette problématique n’est d’ailleurs pas complètement résolue aujourd’hui. Je n’ai pris part au tournage que le temps de quelques séquences en amphi, pendant cinq jours. Cette apparition est donc succincte mais essentielle pour la communauté trans, qui fait partie intégrante de l’histoire d’Act Up. Robin [Campillo] m’a vue aux essais d’un casting de figurants et a voulu m’écrire ce petit rôle de dernière minute, non pour asseoir une légitimité par rapport au film mais parce que c’était important de donner une visibilité à l’hétérogénéité d’un groupe pluriel, soudé par la maladie. Il a seulement hésité sur l’intervention de mon personnage car le film relate plutôt le début des années 90 et, à ce moment-là, il n’y a pas encore à Act Up-Paris de commission trans. Elle sera fondée plus tard par Hélène Hazera. Mais s’il ne l’avait pas fait du tout, plein de gens auraient crié au scandale de toute façon. Mon rôle n’est pas caricatural. C’est moi, je ne suis ni maquillée ni coiffée, loin de la sempiternelle représentation des trans au cinéma. Je suis vraiment fière que Robin ait tout fait pour n’oublier personne.

«Arrivée sur le tard, je n'ai pas reçu toute la documentation dont les acteurs concernés par un rôle plus conséquent ont bénéficié. Le jour du tournage, on nous a simplement expliqué comment fonctionnaient les réunions Act Up, notamment le claquement de doigts qui marque l'approbation d'une parole, tous ces codes que je ne connaissais pas particulièrement. Je n'ai jamais mis les pieds à Act Up mais j'ai côtoyé d'autres associations [Naëlle Dariya est une des organisatrices des soirées Shemale Trouble à Paris, qui promeut la visibilité trans, ndlr]. Je sens bien que l'on ne vit plus dans cette époque, que le contexte et les enjeux ont changé. Ils se battaient pour leur vie, ils faisaient des actions, des "zap" [intervention militante en extérieur brute et efficace]. Moi, je n'ai jamais fait ça, mais ça ne m'inspire que du respect. Ça donne envie d'être plus sur le terrain. Au regard de cela, je me trouve d'une passivité déconcertante. Je pense qu'il y a des choses qu'on ne doit pas laisser passer. Cette question du collectif, de la communion dans l'urgence, cette manière d'exister et de prendre à bras-le-corps un sujet qui les concerne alors qu'en haut lieu on les ignore, c'était très fort mais est-ce que cela prendrait de la même manière dans la société individualiste d'aujourd'hui ?

«Ce qui est drôle, c’est qu’il y a eu des zap à la suite d’avant-premières du film. Notamment venant d’Aides, qui est plutôt une association qui fait de la prévention en distribuant des capotes à la fin des concerts. Qu’on "zappe" le groupe Canal + et le CSA après l’absence de réaction aux sorties homophobes de Cyril Hanouna, j’ai trouvé ça assez fort. Ça marque les esprits. Et il ne faut pas pour autant renier les formes de nouveau militantisme 2.0 mais apprendre à s’en servir. Toujours dans l’affaire Hanouna, que tout le monde se soit mobilisé avec une pétition sur le Net a fait que les annonceurs ont flippé et se sont retirés les uns après les autres. C’est un peu encourageant.»