«Je ne milite plus à Act Up. J'ai quitté l'association, sans drame, en 2003. Honnêtement, je n'ai jamais vu autant d'intelligence qu'à Act Up, et ça ne dépendait pas des diplômes. Une intelligence construite, produite, inventée au sein de l'association. N'importe quel militant en savait plus que les médecins sur le sida. Aux Etats-Unis, des militants ont d'ailleurs été débauchés par des labos. En France, personne ne leur a rien proposé. Je voyais des militants devenir caissiers. Je n'ai rien contre ce métier, mais c'est du gâchis. Aujourd'hui, quand je vois la Coordination des intermittents, le mois qu'a duré Nuit debout, le Parti des indigènes de la République, le mouvement à Notre-Dame-des-Landes, le collectif pour Adama Traoré qui produit une expertise sur les violences policières envers les gens racisés, je vois aussi de l'intelligence collective. Je le crois vraiment. Si le film de Campillo peut avoir un effet, pourvu que ça ne soit pas pour dire que les jeunes sont mous par rapport à notre époque. Pour en revenir à nous qui avons milité, c'est compliqué de parler de génération Act Up, parce que le sida n'était pas une affaire générationnelle. J'étais étudiant, mes amis faisaient des plans d'avenir, moi j'allais mourir en même temps que mon grand-père. Ce qui est sûr, c'est que ceux d'Act Up, dont j'étais, se sont souvent étonnés que le militantisme pédé et gouine "historique" n'ait pas rallié Act Up, alors qu'on s'estimait les héritiers du FHAR et des autres. A cela, il y a deux explications : d'une part, ils avaient commencé à mourir et, d'autre part, ils s'étaient mobilisés contre la mainmise du pouvoir médical, notamment psychiatrique, sur l'homosexualité. Avec le sida, il fallait refaire avec les médecins. C'était un combat beaucoup plus impur. Et puis en aval de la première vague des militants d'Act Up, il y a ceux qui sont arrivés après la trithérapie. La problématique n'était pas complètement modifiée mais, à partir de 1998, la mort et l'hôpital n'étaient plus des expériences quotidiennes. Les militants historiques sont restés quatre-cinq ans, et sont partis. Un certain nombre de gens d'Act Up ont décidé de faire la revue Vacarme [dont Philippe Mangeot, ndlr]. Je crois qu'on ne sait jamais qu'on va mourir, mais vous en avez peur tout le temps. J'ai été contaminé en 1986, à un moment où il y avait peu de choses disponibles pour traiter le sida. Alors il y a eu l'étrange question de la résurrection. A un moment, j'ai compris qu'on allait vivre, je ne comprenais pas encore comment. Le monde changeait. A ce moment-là, les gens qui sont morts du sida sont vraiment morts. C'était une sorte de sidération. Ce qui ne voulait pas dire qu'il ne fallait pas se battre pour que tous aient accès aux traitements. La situation était moins tragique, mais quand même très grave. Or personne ne voulait plus nous entendre. D'ailleurs, c'était habituel que personne ne veuille nous entendre. Je me suis réengagé dans mon métier de prof. J'avais mis tout ça entre parenthèses ; le militantisme, ça prend beaucoup de temps.»
Philippe Mangeot, président d’Act Up de 1997 à 1999 : «Les militants en savaient plus que les médecins»
publié le 20 août 2017 à 18h36
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