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Libération
Décryptage

Vacances des politiques : les clichés ont la belle vie

Pour ses premiers congés en tant que président, Emmanuel Macron a choisi Marseille, avec la volonté de s’afficher dans une ville à l’image populaire. Et comme souvent, les photos de vacances des personnalités politiques sont des condensés de communication.
par Pierre Steinmetz et MIELCZARECK Elodie
publié le 20 août 2017 à 18h06
(mis à jour le 20 août 2017 à 18h36)

Qu’il est loin le temps des soirées tropéziennes de Georges Pompidou qui, cigare aux lèvres, festoyait au milieu de la jet-set parisienne. Loin le temps où Jacques Chirac, alors président de la République, prenait un jet privé pour aller se dorer la pilule sur les plages de l’île Maurice. En passant ses vacances à Marseille, le président Macron la joue - beaucoup - plus sobre. Avec une obsession : ne pas reproduire les fiascos de ses prédécesseurs. Comme Nicolas Sarkozy et ses Ray-Ban sur le yacht du milliardaire Vincent Bolloré, qui a renvoyé l’image d’un chef de l’Etat bling-bling. Ou François Hollande en maillot de bain sur les plages de Brégançon (Var), le renvoyant à une image de président trop normal. Au moment de construire son image de chef de l’Etat en vacances, Emmanuel Macron veut se démarquer.

Depuis son arrivée dans la deuxième ville de France, il y a un peu plus d'une semaine, il soigne ainsi sa communication. Visite du château de Marcel Pagnol, entraînement de foot avec les joueurs de l'Olympique de Marseille, rencontre avec les ouvriers du chantier naval Borg, à l'entrée du Vieux-Port… A chaque jour, son lot de cartes postales. «Les vacances font les politiques. Elles façonnent la manière dont les Français vont les percevoir. C'est un moment primordial», rappelle Florian Silnicki, expert en communication politique et fondateur de l'agence LaFrenchCom'. Et «Jupiter» l'a très bien compris. Exit, donc, les images qu'il n'a pas conçues et imaginées à l'avance. Quitte à chahuter - une fois de plus - la liberté des journalistes. Mardi, l'Elysée a ainsi indiqué que le Président avait porté plainte contre un photographe pour «harcèlement et tentative d'atteinte à la vie privée».

«Studieuses»

La communication du chef de l'Etat a en réalité été dispensée bien avant qu'il n'arrive sur la Canebière. «Le Président, à compter du Conseil des ministres, part pour quelques jours de vacances en France et restera mobilisable à tout moment», annonçait l'Elysée, il y a dix jours. Contrairement à ses ministres autorisés à s'absenter deux semaines, le Président ne s'accorde donc que «quelques jours» de répit. «La stratégie est simple : plus les vacances sont restreintes, et plus elles seront justifiées et efficaces aux yeux des Français, explique Florian Silnicki. Macron ajoute également le côté sérieux : non seulement ses vacances seront courtes, mais en plus elles seront studieuses. En creux, cela signifie "je continuerai à travailler et à me mobiliser pour notre pays".»

Ce n'est donc pas un hasard si Emmanuel Macron contrôle les images diffusées dans la presse : «Le pouvoir idéologique autour de la communication pendant les vacances vient de ce qu'on montre, mais aussi de ce qu'on ne montre pas. Ne pas être pris en photo trop fréquemment peut également nourrir l'idée qu'il travaille même en vacances», complète Elodie Mielczareck, sémiologue et auteure de l'ouvrage Déjouez les manipulateurs (1).

Pour ces deux spécialistes, Macron cherche donc à éviter le «choc des images» auquel n'avait pas échappé François Hollande. En 2012, le président socialiste passait dix-neuf jours dans le Var. «Il venait d'annoncer que son adversaire était la finance et qu'il allait engager rapidement des réformes pour la combattre et le voilà en vacances. Ça lui a causé du tort», estime le fondateur de l'agence LaFrenchCom'.

Supporteur inconditionnel du club de football de la ville, Emmanuel Macron a aussi choisi Marseille, nouveau fief de Jean-Luc Mélenchon, pour une raison éminemment politique : la cité a une image populaire. A l'heure où 40 % des Français ne partent pas en vacances, la contre-jurisprudence Sarkozy est plus que jamais d'actualité : «L'électeur veut que le politique parte dans un endroit qu'il pourrait s'offrir. […] Avec Sarkozy, il y a eu le voyage aux Etats-Unis, le yacht de Bolloré, la maison de Carla… Autrement dit, que du "bad buzz". Les Français n'aiment pas l'indécence que suggère ce genre de vacances», observe Florian Silnicki. Se rendre à Marseille, «c'est plus malin que d'aller au bord d'un lac américain pour milliardaires, comme l'avait fait Sarkozy après son élection», concède Patrick Mennucci (PS) dans les colonnes du Journal du dimanche.

Indécence

Outre l’option Marseille, le couple présidentiel ne choisit pas ses sorties par hasard. En visitant le château de Pagnol ou en allant taper dans le ballon avec les joueurs de l’OM - club le plus soutenu de France avec 3,2 millions de supporteurs selon une étude Ipsos de 2014 -, Emmanuel Macron colle aux passions des Français pour mieux leur ressembler. Et les rassembler.

Mais si le Président prend soin d'éviter les polémiques estivales, celles-ci pourraient revenir par la bande, via les membres de son gouvernement. Selon Mediapart, Gérald Darmanin, ministre de l'Action et des Comptes publics, et Sébastien Lecornu, secrétaire d'Etat auprès du ministre chargé de la Transition écologique et solidaire, auraient loué la villa corse de la compagne de Gilbert Casanova, condamné en 2005 et 2010 pour abus de biens sociaux et trafic de drogues. Darmanin et Lecornu se sont défendus en plaidant l'ignorance. Suffisant pour menacer le château de cartes (postales) du nouveau et fringant locataire de l'Elysée ?

(1) Editions Nouveau Monde, 160 pp, 11,90 €.

Trois exemples de photos sous contrôle

Cette photo prise en août 2006, à Arcachon (Gironde), véhicule l’idée que Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, est un homme attentif, qui ne cesse d’être en mouvement. Même en été, il est capable de se démener. En frappant dans la balle, cuisse contractée et rictus du visage déterminé, le message est accompagné de signes de puissance et de virilité, tel un vrai leader charismatique. Cette photo illustre bien comment Nicolas Sarkozy a utilisé les médias. Il y a eu Sarkozy qui fait son jogging entouré de ses gardes du corps, Sarkozy qui fait du vélo… Ici, c’est Sarkozy fait du foot. Cette photo fait donc partie d’un récit politique. Elle ne se limite pas simplement à montrer que l’homme politique profite de ses vacances en faisant des activités que tout le monde peut faire - le foot n’a pas été choisi par hasard puisque c’est un sport populaire et accessible. Cela va plus loin. Et il s’est beaucoup inspiré de Vladimir Poutine dans sa manière de communiquer en vacances.

La photo de vacances permet aussi de faire passer un message politique lié à l’actualité du moment. Ce n’est pas un hasard si, pour ses premières vacances en tant que président, en août 2012, François Hollande a choisi systématiquement de s’afficher avec sa compagne. Rappelons que, pour lui aussi, le début de son quinquennat a été marqué par la question du statut de la première dame. Or la photo n’insiste sur rien d’autre que François Hollande et Valérie Trierweiler, en premier plan, se baladant main dans la main. Ils sont les seuls éléments qui ont réellement de l’importance. Le lieu est secondaire (ici Bormes-les-Mimosas, alors que les deux logent au fort de Brégançon). En choisissant de se mettre en scène, le couple devient ainsi un outil de propagande pour apporter quelques clarifications. Avec, comme message : «Peu importe si la première dame a un statut défini ou non, nous sommes avant tout un couple présidentiel».

Ce qui frappe sur ce cliché pris en 1985 en Nouvelle-Calédonie, c'est la recherche de proximité.Tous les stéréotypes de la photo de vacances sont là : Jean-Marie Le Pen est assis, regarde l'objectif en souriant, le tout en plein soleil avec une végétation exotique en arrière-plan. C'est la photo de vacances typique que l'on peut retrouver dans son propre album photo. Le rapport au corps est intéressant, avec une dimension politique évidente. Le Pen n'est pas en habit de technocrate mais torse nu, comme une personne lambda au soleil. La posture et la nudité du corps suggèrent quelque chose d'intime. L'électeur peut se sentir ainsi plus proche de Le Pen, car il est dans une situation dans laquelle on peut s'identifier, tout en ayant le sentiment d'observer quelque chose d' extraordinaire (un homme politique dévêtu).