Dernière - et dangereuse - ligne droite pour la grande réforme du code du travail promise par Emmanuel Macron. Après l’adoption, fin juillet par le Parlement, de la loi d’habilitation qui autorise le gouvernement à légiférer par ordonnances, place à l’ultime phase de concertation sur, cette fois-ci, leur contenu précis.
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Le bal s’ouvre ce mardi après-midi avec le Medef, reçu par le directeur de cabinet de la ministre du Travail, Antoine Foucher, suivi, jusqu’à vendredi, des syndicats et du reste du patronat. Avant une présentation de la version finale des ordonnances - quelque 150 pages - le 31 août, et une adoption définitive par le gouvernement lors du Conseil des ministres du 20 septembre.
D’ici là, reste donc à arbitrer un certain nombre de points. Non seulement le détail des mesures, mais aussi les thèmes qui seront finalement retenus. Car tous les sujets - plus ou moins détaillés - apparaissant dans la loi d’habilitation ne feront pas forcément partie des ordonnances. Passage en revue de ce qui a d’ores et déjà été arbitré et qui devrait figurer dans les projets d’ordonnances soumis dès ce mardi aux partenaires sociaux, et de ce qui doit encore faire l’objet de discussions.
Ce qui est déjà acté
Répartition des rôles entre branches et entreprises
C’est l’un des principaux objectifs de la réforme : revoir les domaines de compétence entre branches et entreprises. Aujourd’hui, il en existe trois. Le premier, qui regroupe six thématiques (minima salariaux, classification des métiers, formation, protection sociale complémentaire, égalité professionnelle et pénibilité) est exclusif à la branche, qui ne peut en aucun cas en déléguer la négociation à l’entreprise. Le second domaine, intermédiaire, concerne un champ où la branche peut préempter le sujet pour elle seule ou au contraire le déléguer à l’entreprise. Le troisième, enfin, concerne les sujets négociés en entreprise.
Demain, les branches conserveraient leur pré carré sur la plupart des thèmes évoqués, sauf la pénibilité. Elles récupéreraient en revanche la négociation de certaines règles de recours aux CDD (jusqu'ici gérés par la loi), et aux contrats de chantiers. Dans le second domaine, intermédiaire, ne figureraient plus que quatre thèmes (la pénibilité, qui descendrait donc d'un cran, la prévention des risques professionnels, le handicap et les conditions d'exercice d'un mandat syndical). Domaine où les branches auraient donc le choix de garder, ou non, la primauté. Tous les autres sujets seraient désormais négociés dans l'entreprise. Y compris des éléments de rémunération (prime, 13e mois…), préviennent certains syndicats, qui s'inquiètent d'un risque de dumping.
Fusion des instances du personnel
Le comité d’entreprise, le CHSCT et les délégués du personnel fusionneraient en une instance unique : le «comité social et économique». Les syndicats ont obtenu la garantie que cette structure pourrait toujours solliciter des expertises et saisir la justice. Des délégués du personnel pourraient être maintenus dans les groupes répartis sur plusieurs établissements, pour garder une présence de terrain. Mais le ministère n’a rien dit sur les moyens des élus, notamment leurs heures de délégation.
Les syndicats s’inquiètent également que la nouvelle instance absorbe le délégué syndical en ayant le pouvoir de négociation, par accord d’entreprise ou de branche, dans les boîtes de plus de 50 salariés. Elle s’appellerait alors «conseil d’entreprise».
Réduction du périmètre du licenciement
Aujourd’hui, pour juger du sérieux des difficultés économiques avancées par un groupe international qui veut procéder à des licenciements dans une filiale française, le juge (en cas de contestation du licenciement) prend en compte l’état de santé de l’ensemble du groupe. Demain, il devra se limiter au périmètre France. Pour lever les craintes des syndicats, le gouvernement devrait laisser au juge la possibilité de vérifier qu’un groupe n’organise pas artificiellement des difficultés dans sa seule filiale française pour la fermer.
Ce qui reste à arbitrer
Permettre de négocier sans syndicat
Pour passer des accords en l’absence de délégué syndical, un patron d’une entreprise de moins de 50 salariés doit aujourd’hui négocier avec un délégué du personnel ou un salarié qui est mandaté par un syndicat.
Demain, l’employeur pourrait traiter directement avec un délégué du personnel non mandaté. Le gouvernement imagine trois garde-fous : que le délégué du personnel ait obtenu au moins 50 % des voix aux élections, qu’il soit formé à la négociation ou accompagné par un syndicat, ou que l’accord soit ensuite soumis à référendum. Un point qui fait notamment tiquer la CFDT.
Elargir le référendum d’entreprise
Les très petites entreprises (moins de 10 salariés) peuvent déjà conclure des accords par référendum, sur l’intéressement ou le travail du dimanche, par exemple. Le gouvernement d’Edouard Philippe voudrait l’étendre à de nouveaux domaines.
Dans les autres entreprises aussi, le référendum serait «assoupli». L’exécutif n’exclut pas d’en confier l’initiative à l’employeur, y compris sans le feu vert des syndicats, alors que seuls ces derniers le peuvent aujourd’hui. Une mesure a priori non négociable pour toutes les confédérations.
Plafonner les indemnités prud’homales et réduire les délais de recours
Emmanuel Macron veut absolument satisfaire le patronat, qui réclame de longue date un plafond des indemnités versées aux prud'hommes en cas de licenciement abusif. Seuls seront exclus du barème obligatoire les cas de harcèlement, de discrimination ou les «atteintes aux libertés fondamentales des salariés». Devant les syndicats, la Rue de Grenelle a évoqué un «tarif» d'un mois de salaire par année d'ancienneté, dans la limite de vingt ans. Les salariés avec peu d'ancienneté seraient pénalisés, car la loi leur accorde aujourd'hui au moins six mois de salaire à partir de deux ans de maison dans des entreprises de plus de 10 salariés. Officiellement, le cabinet de Muriel Pénicaud n'a pas arrêté de seuils, mais confirme que «l'effort» portera sur les employés avec peu d'ancienneté. En contrepartie, le ministère promet, par décret, une hausse des indemnités légales de licenciement, aujourd'hui fixées à un cinquième de mois de salaire par année d'ancienneté. Par ailleurs, les délais pour contester un licenciement (d'un à deux ans aujourd'hui) seront très probablement réduits.
Contourner ou alléger les plans de sauvegarde de l’emploi
Autre gros bloc de la réforme : le gouvernement Philippe espère faciliter les licenciements collectifs hors des plans de sauvegarde de l’emploi (PSE). Aujourd’hui, une entreprise de plus de 50 salariés doit en mettre un en place si elle veut licencier au moins 10 salariés en trente jours. Cette règle pourrait varier selon la taille de l’entreprise et grimper jusqu’à 30 salariés.
En cas de plan de sauvegarde de l’emploi, l’entreprise doit proposer individuellement aux employés sur le carreau des solutions de reclassement. Désormais, il suffirait de présenter une fois l’ensemble des offres à tous les effectifs. Et il ne serait plus obligatoire de proposer les postes disponibles à l’étranger, offres quasiment toujours déclinées par les salariés, assure le ministère du Travail.