Dans le bourg de Pacé, commune éminemment dynamique à la lisière de Rennes, la mi-journée est un moment d'intense activité. Dans les nombreux commerces réunis autour de l'église, retraités, jeunes couples, artisans, cadres de PME ou simples employés, défilent sans discontinuer et la terrasse de La Gargotte affiche complet. Les cent premiers jours du gouvernement Macron ? Les sentiments sont mitigés, entre attente, satisfaction prudente et vigilance vaguement inquiète. A la porte de la boulangerie principale, Jean-Pierre, 74 ans, se montre fataliste. «L'art de gouverner est extrêmement difficile et forcément décevant pour la population, déclare, un brin sentencieux, cet ancien élu municipal. Macron ne fera pas tout ce qu'il a dit mais, s'il ne tient pas ses promesses, ce sera d'abord la faute aux Français», ajoute-t-il, évoquant la propension hexagonale à l'insatisfaction.
«Bride»
Dans ce fief macroniste où l'ancien ministre de l'Economie a réalisé, à l'instar de nombreuses communes d'Ille-et-Vilaine, parmi ses meilleurs scores à la présidentielle (40 % au premier tour, 88 % au second), ce retraité de chez Saint-Gobain, n'en salue pas moins les velléités du gouvernement pour rénover le code du travail, une démarche selon lui «propice à l'emploi». «Muriel Pénicaud, c'est quand même autre chose que Myriam El Khomri, se félicite-t-il. On a affaire à des gens compétents qui ont pris le temps de la négociation. Ce que je regrette, c'est le mode aristocratique avec lequel Emmanuel Macron exerce sa présidence. Son prédécesseur parlait trop, lui ne parle pas beaucoup. Il devrait expliquer davantage où il veut aller.» Autre bémol : Gérard Collomb, qui «n'a pas la pointure d'un ministre», assène-t-il.
Jean-Pierre n'est pas le seul à être titillé par la manière dont Emmanuel Macron exerce le pouvoir. «Le pouvoir très personnel, j'aime pas du tout, lâche Michel, 50 ans, cadre dans une entreprise d'agroalimentaire. La démocratie, ça devrait être le dialogue, le débat. J'ai l'impression que l'Assemblée nationale n'est qu'une chambre d'enregistrement. Il y a sûrement des gens très bien dans le gouvernement mais ils ont tous la bride serrée. Edouard Philippe, quelqu'un qui a l'air raisonnable, tempéré, n'a pas le moindre espace, pas de marge de manœuvre. On ne le voit pas du tout. On a beaucoup glosé sur Sarkozy, l'hyperprésident, mais je me demande si ce n'est pas pire.» Entre deux courses, Laurent, 43 ans, en tee-shirt et bermuda de saison, avoue pour sa part avoir plutôt une «bonne impression» après ces premiers mois de gouvernement Macron, un président qui a su «réunir des gens de gauche et de droite». Même si ce centriste pur et dur regrette la démission, un peu rapide à son goût, de François Bayrou. Et de détailler les derniers événements qui emportent son adhésion. «La moralisation de la vie politique, la suppression du diesel d'ici 2040, les initiatives de Brigitte Macron sur le rôle de la première dame, la réaction de la secrétaire d'Etat Marlène Schiappa sur les sacs sexistes d'Auchan, je trouve tout ça très bien», énumère cet ingénieur informatique qui avait toutefois voté pour Hamon et son revenu universel au premier tour de la présidentielle.
«Bosser»
Macroniste convaincue, Corinne, 48 ans, directrice administrative et financière dans une entreprise de formation, tient quant à elle à mettre en garde ses concitoyens contre une impatience excessive. «Les gens attendent tout, tout de suite, souligne-t-elle. Mais les problèmes écologiques, du marché du travail ne peuvent pas s'arranger comme ça en quelques mois, la loi travail n'est même pas sortie ! Si ça se trouve, le précédent gouvernement a pris des mesures dont on va connaître les effets maintenant !» Pour l'heure, cette grande brune, qui espère beaucoup d'un assouplissement des conditions d'embauche, n'a en tout cas «rien à reprocher» à l'exécutif. Et surtout pas la discrétion de ses ministres. «On ne les paie pas pour faire de la com, remarque-t-elle. Ils ne sont pas là pour se faire connaître mais pour bosser.» Devant son magasin, Alexandre, 40 ans, artisan-photographe, est lui aussi dans l'expectative. «Pour l'instant, on n'a pas l'impression que la machine se soit vraiment mise en route, estime-t-il. Tout ce que j'espère c'est que les promesses sur la réforme du RSI et la protection de petits entrepreneurs comme moi, deux mesures qui m'ont incité à voter Macron, soient tenues, sinon je n'irai plus voter.»