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Manifs : peut-on vraiment faire la loi dans la rue ?

Loi travail, épisode 2dossier
Alors que deux journées de mobilisation sont prévues les 12 et 23 septembre contre la réforme du code du travail, «Libé» revient sur une question posée mardi à Jean-Luc Mélenchon : «Est-ce qu'on fait la loi dans la rue ?»
Manifestation contre la loi travail, à Paris, le 28 juin 2016. (Photo Philippe Lopez. AFP)
publié le 6 septembre 2017 à 12h35

Est-ce qu'on fait la loi dans la rue ? «Aussi. Oui. C'est vrai», a estimé Jean-Luc Mélenchon, chef de file de La France insoumise, interrogé mardi sur BFM-TV (voir la vidéo à partir de 3 minutes). Mais trois jours plus tôt, le président de l'Assemblée nationale, François de Rugy, considérait au contraire qu'«on ne fait pas la loi dans la rue». Alors que se préparent les mobilisations du 12 et du 23 septembre contre la réforme du code du travail, manifester est-il utile pour changer la loi ?

Pour Pascal Jan, professeur de droit constitutionnel à Sciences-Po Bordeaux, Jean-Luc Mélenchon et François de Rugy raisonnent selon deux logiques différentes, le premier estimant que le pouvoir de la rue peut s'imposer au pouvoir politique («La rue est méprisée, mais la liberté est venue de la rue», déclarait-il mardi), et le second considérant que les parlementaires élus gouvernent légitimement («La loi se fait entre le gouvernement, les partenaires sociaux par la concertation, et le Parlement»). Pour Pascal Jan, si le but est de modifier une loi, l'organisation des mobilisations doit se faire en fonction de l'agenda législatif et «les manifestations ont logiquement leur place au moment où les parlementaires ont le pouvoir de modifier ou de rejeter les ordonnances».

Car, au-delà de la volonté de donner son avis sur des lois, les mobilisations peuvent servir ce que Pascal Jan appelle un «discours sous-tendu» et être utilisées à des fins de déstabilisation politique. Par exemple, en expliquant qu'il souhaite «faire tomber la politique» d'Emmanuel Macron car «les gens se sont fait avoir parce qu'ils n'ont pas voté pour tout ça», le leader de La France insoumise use d'«un argument de devanture qui permet de contester et de fragiliser la légitimité des mesures et des institutions», selon le constitutionnaliste qui souligne que «les mobilisations peuvent avoir une influence, mais au final, cela reste de la responsabilité des élus de modifier ou retirer un texte».

Le rôle des manifs dans l’histoire

D'un point de vue empirique, c'est incontestable : les mouvements sociaux ont bel et bien influencé l'histoire politique de la France. Dans l'histoire récente, l'historienne Danielle Tartakowsky repère «une séquence qui s'est ouverte avec le mouvement de 1984 pour l'école libre, qui aboutit au retrait de la loi Savary et accélère la chute du gouvernement Mauroy». Cette manifestation qui participe au retrait d'une loi contestée est issue d'une mobilisation située à la droite de l'échiquier politique, et elle sera suivie de toute une série de manifestations plutôt issues des rangs de la de gauche qui vont également aboutir à des retraits ou des modifications des textes de loi : retrait du projet de loi Devaquet sur la réforme des universités en 1986, retrait du contrat d'insertion professionnelle (CIP) en 1994, recul du plan Juppé de l'automne 1995, retrait du contrat première embauche (CPE) en 2006…

«Les manifestations jouent indéniablement un rôle implicite pendant plus d'une décennie et demie. Suffisamment pour que ce rôle entre dans les têtes au point que l'échec de certaines manifestations qui ont suivi, comme les manifestations contre la réforme des retraites en 2010 ou la Manif pour tous en 2012, surprend», souligne Danielle Tartakowsky qui place le «coup d'arrêt explicite» avec la déclaration volontairement provocatrice de Jean-Pierre Raffarin en 2003 : «Ce n'est pas la rue qui gouverne.» En effet, depuis 2007, aucune manifestation n'est parvenue à infléchir profondément le parcours législatif. Reste que, comme le note la chercheuse, tout peut changer car «l'histoire n'a pas de fin».

Des manifs au référendum

L'idée de renforcer ou d'officialiser le rôle des mouvements sociaux pour consolider la démocratie directe revient à intervalle régulier dans le débat public. C'est ce qu'on appelle le plus souvent le «référendum d'initiative populaire», ou «minoritaire», organisé à l'initiative d'une fraction du corps électoral. En clair : c'est par la mobilisation des citoyens que l'on peut aboutir à une proposition de loi. Présente dans le programme de Marine Le Pen, dans celui de Benoît Hamon sous la forme du «49.3 citoyen» et dans celui de Jean-Luc Mélenchon (référendum d'initiative citoyenne), l'idée est «à double tranchant» pour Pascal Jan car «cela appelle à la capacité du peuple à se substituer aux représentants élus». Pendant la campagne présidentielle, les chercheurs des Surligneurs remarquaient également que «permettre au peuple de censurer le Parlement à travers un "49.3 citoyen", c'est permettre au peuple de s'autocensurer : cela réduit encore plus les prérogatives du Parlement, dans un contexte d'exécutif déjà surpuissant».