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Libération
Récit

Loi travail : Marcel Campion met la foire dans le cortège

En conflit avec la maire de Paris, Anne Hidalgo, à propos de son marché de Noël et de sa grande roue place de la Concorde, le «roi des forains» appelle ses troupes à se mobiliser mardi à l’occasion de la manif contre la réforme du code du travail.
Marcel Campion à la fête à Neuneu du bois de Boulogne, à Paris, jeudi. (Photo Frédéric Stucin pour Libération)
publié le 8 septembre 2017 à 19h16

Sa dernière menace a mis en émoi une partie de l'ultra gauche. Un appel à la révolte aux accents situationnistes, intitulé «Fête foraine et lutte finale», d'abord publié sur le site Lundi matin, proche du Comité invisible, puis relayé par le Monde. Marcel Campion adoubé par les amis de Julien Coupat, auteurs de l'Insurrection qui vient ? L'attelage en a fait tiquer certains, quand d'autres prophétisent déjà la convergence réelle des luttes.

Tout l'été, les affichettes sonnant le tocsin ont été placardées dans plus de 12 000 fêtes et manèges à travers la France. Porte-parole incontesté de l'intersyndicale foraine, Campion appelle à bloquer Paris, Lyon, Marseille et Le Havre le 12 septembre, lors de la journée d'action syndicale contre les ordonnances réformant le code du travail. Plus de 5 000 forains pourraient débouler mardi dans les rues de la capitale. «Le temps est venu de défendre nos culs, écrit Campion. Nous le ferons en première ligne de toutes les manifestations de colère sociale : avec les syndicats et les insoumis, les bonnets rouges et les black blocs, les agriculteurs faillis et les anarchistes.»

Dans les franges les plus radicales, certains se prennent déjà à rêver d'un affrontement avec la police au cœur de la capitale, forains en tête de cortège, avec Seth Gueko en bande-son pour exciter les foules aux avant-postes. «Je n'ai aucun problème à me retrouver aux côtés des black blocs, des mecs qui se battent pour leurs idées», assume le «roi des forains», qui se dit prêt à mobiliser mardi un millier de camions à Paris, entre 300 et 400 à Marseille, et autant à Lyon. Ses troupes ont été convoquées lundi midi, sous le chapiteau de la Fête à Neuneu, porte de la Muette, pour préparer l'opération. A moins que Matignon, saisi fin août d'une série de doléances par l'intersyndicale, ouvre les négociations d'ici là, hypothèse jugée peu probable.

«Incompatible»

Ce coup de force rappelle l'ultimatum lancé par le même Marcel Campion il y a plus de trente ans, en 1986, quand le gouvernement avait fait baisser le taux de TVA pour les parcs d'attractions sans faire profiter les forains de cette ristourne. A l'époque, l'occupation sauvage du jardin des Tuileries s'était terminée en violente confrontation avec la police, Matignon finissant par appeler Campion au milieu de l'été pour siffler la trêve et accepter l'alignement des statuts. Alors Premier ministre, Jacques Chirac avait rappelé l'«utilité sociale et la spécificité culturelle» du monde forain. «Si on n'avait pas eu une centaine de blessés chez les flics et le triple chez les forains, on n'aurait rien obtenu», assure Marcel Campion.

Plus récemment, lors de la bataille autour de l'écotaxe pour les camions forains, il a également réussi à obtenir une audience au ministère des Transports après de violents affrontements avec les CRS. «Je suis arrivé en sang mais j'ai eu gain de cause.»

Cette fois, plus que celles sur la loi travail, le porte-parole des forains entend dénoncer une ordonnance d'avril 2017 obligeant les municipalités à lancer des appels d'offres pour tous les emplacements publics d'animation. Une contrainte «incompatible avec les traditions foraines», estime Marcel Campion, qui dénonce une mise en concurrence mortelle pour une profession habituée depuis toujours au gré à gré avec les municipalités. «C'est le seul moyen de rentabiliser nos manèges, plaide le propriétaire de la grande roue de la place de la Concorde. Si on perd ça, on meurt.» Même constat pour les nouvelles caisses enregistreuses inviolables que l'Etat cherche à imposer et qui seraient insolubles dans la culture foraine.

Vent de panique

A travers cette nouvelle «guerre», le «roi des forains» livre aussi un combat plus personnel. A 77 ans, l'entrepreneur n'a plus grand-chose à perdre depuis que la mairie de Paris a décidé de lui retirer les deux prunelles de ses yeux, le marché de Noël des Champs-Elysées et la grande roue. «On ne veut plus du tout travailler avec lui», fait aujourd'hui savoir Anne Hidalgo, excédée par les méthodes musclées du forain. Pendant longtemps, pourtant, la maire de Paris était à tu et à toi avec «Marcel», inaugurant la foire du Trône, festoyant avec son équipe de campagne au marché de Noël, et posant tout sourire à ses côtés. Comme ses prédécesseurs, Jacques Chirac, Jean Tiberi et Bertrand Delanoë, Hidalgo a toujours choyé celui qui se targue de représenter 35 000 entreprises foraines, mais aussi 20 000 commerçants de marché et 2 000 employés de cirque. Il y a quelques mois encore, l'adjoint à la Culture de la mairie, Bruno Julliard, louait dans Paris Match un «personnage attachant et généreux» : «Dans son domaine, il est très bon, très professionnel. Comme organisateur, nous constatons à chaque fois qu'il est le meilleur.»

Mais le vent a définitivement tourné depuis que le juge du pôle financier Renaud Van Ruymbeke s'intéresse de plus près aux affaires du forain et à ses relations commerciales avec la mairie de Paris (lire ci-contre). Visé par deux informations judiciaires, Marcel Campion a été mis en examen fin mai pour «recel de favoritisme» dans l'enquête portant sur la convention passée avec la ville pour l'installation de la grande roue. «Si je suis poursuivi pour recel, alors il faut m'expliquer qui est l'auteur de l'infraction principale, s'offusque le forain. La maire de Paris et son adjoint ont signé tous les documents.» La municipalité parisienne s'est empressée de se constituer partie civile, mais un vent de panique a traversé l'hôtel de ville à l'été 2016, où certains redoutent toujours une convocation chez le juge. D'autant qu'un récent rapport de la chambre régionale des comptes pointe les nombreuses «anomalies» et «irrégularités» dans la gestion des activités foraines par la mairie.

De son côté, Marcel Campion, 51 contrôles fiscaux à son actif dont 9 en cours, n'a pas changé de ligne : à travers l'«acharnement» dont il se dit victime, c'est tout le monde forain qui est ciblé. Alors autour des manèges, on prépare le grand soir. Prêt à en découdre, le patriarche a déjà prévenu : «Dans toutes les prochaines batailles de la guerre sociale en cours, les forains seront en première ligne.» Première étape mardi.