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Libération
Témoignage

A Saint-Martin, l'impression d'être «des citoyens de troisième zone»

Après Irma, Mariadossier
Laila, une habitante de l'île franco-néerlandaise des Antilles, dévastée par l'ouragan Irma, décrit à «Libération» la situation sur place.
Des pompiers distribuent de l'eau aux sinistrés de l'ouragan Irma, à Marigot, sur l'île de Saint-Martin, dimanche. (Photo Martin Bureau. AFP)
publié le 12 septembre 2017 à 12h35

Laila, 33 ans, est chargée de suivi au sein d’Initiative Saint-Martin, une structure aidant à la création d’entreprises sur l’île des Antilles françaises. Cette habitante du quartier de Saint-Louis revient sur la situation sur place, une semaine après le passage dévastateur de l’ouragan Irma.

«Avec le recul, j’ai l’impression que les pouvoirs publics locaux et l’Etat nous ont laissés dans le vent pendant plusieurs jours. On n’a reçu aucun secours, on ne savait rien, la communication était absente. Certains habitants ont eu la sensation que les gendarmes étaient là juste pour les Blancs. La difficulté, c’est qu’on reproche souvent aux Saint-Martinois de ne pas se sentir français, mais là, on avait l’impression que tout le monde s’en fichait de nous. Déjà en temps normal, on se voit comme le tiers-monde de la France.»

«Quand la ministre dit que l’île est loin de tout, on ne comprend pas. Des gens de Guadeloupe sont venus chercher des rescapés avec leurs voiliers. Pendant ce temps, qu’a fait l’Etat français ? Saint-Martin n’est qu’à huit heures d’avion de la métropole. Un appareil aurait très bien pu décoller au moment où l’ouragan passait au-dessus de l’île, pour être à pied d’œuvre plus rapidement. On paye nos impôts, mais on est traités comme des citoyens de troisième zone.»

«Au cours des premiers jours après le passage d’Irma, j’ai assisté à des pillages, mais pas à des braquages. Les gens n’étaient pas armés. Certains ont pété des magasins pour voler des réfrigérateurs. Je me demande à quoi ça sert… L’histoire des vols "alimentaires", je n’y crois pas trop, parce que les gens avaient fait des stocks plusieurs jours avant l’ouragan. Je ne peux pas croire qu’ils mouraient de faim. Mais peut-être manquaient-ils d’eau.»

«Quoi qu’il en soit, il ne faut pas exagérer la situation. Ce n’est pas l’anarchie. En fait, le déficit de communication a alimenté les rumeurs. La formation d’un second cyclone, José, a également entretenu la peur. Cela a contribué à renforcer des tensions déjà existantes. Par exemple, les "métros" de quartiers résidentiels, situés à côté de quartiers prioritaires, ont pu être saisis par la phobie que des gens viennent les braquer chez eux…»

«Je pense aussi que la réaction des fonctionnaires sur place n’a pas été adaptée. Je veux bien que les gens soient en état de choc, mais quand la première chose que font des gendarmes, c’est d’évacuer leur famille, ça n’est pas adapté. Ils sont censés être mieux préparés. Les habitants, dans l’urgence, attendent d’eux qu’ils assument leur statut.»