Sauf sursaut «citoyen», la facilité avec laquelle le gouvernement d’Edouard Philippe devrait réussir à imposer la dérégulation, objectivement historique, du code du travail, ne sera pas due qu’à la procédure par ordonnances ou à la légitimité qu’il tient des élections. Elle devra aussi beaucoup à une forme de décomposition du paysage syndical.
Que la CGT, tout d’abord, ait réussi à mobiliser 220 000 personnes mardi relève presque du miracle. Depuis le départ de Bernard Thibault en 2013, et sa succession incroyablement ratée, la principale centrale syndicale de France est sur le déclin. Désorganisée, dépassée dans le privé par la CFDT - aux derniers relevés de représentativité en mars 2017 -, la CGT est incapable de porter une parole intelligible, un discours cohérent sur l’évolution du capitalisme et du monde du travail. Arrivé par défaut à la tête de la confédération, après le court mais catastrophique passage de Thierry Lepaon, Philippe Martinez ne parvient pas à imprimer. Ni même à élaborer une stratégie collective : en choisissant seul la date de mobilisation du 12 septembre, il a vexé ses homologues des autres centrales qui - déjà - n’avaient pas besoin de beaucoup d’arguments pour ne pas le suivre.
Dans un autre genre, la CFDT n’est pas plus rassurante. Confédération la plus centralisée de toutes, «épurée» de tout avis divergent au fil des années, elle s’est enferrée dans un «réformisme» de négociation, voire de simple consultation, qui semble désormais lui interdire tout autre mode d’action.
Les ordonnances Pénicaud ? «Une occasion ratée», une «réforme beaucoup trop classique», a expliqué - sagement - son responsable Laurent Berger, alors même que le projet constitue, entre autres, une remise en cause d'une partie des fondamentaux de la centrale de Belleville. L'année dernière, la CFDT avait ainsi combattu avec succès le plafonnement des indemnités prud'homales et le resserrement du périmètre du licenciement au territoire national. Aujourd'hui, elle n'émet quasiment plus aucun son sur ces sujets. «Ils vont plafonner les indemnités, nous ferons en sorte que le plafond soit le plus haut possible», a répondu en substance la centrale, qui, de surcroît, a dû avaler une baisse de près d'un tiers de ce plafond par rapport au premier projet figurant dans la loi Macron de 2015. Mais le plus humiliant pour la centrale reste la réforme de la négociation collective dans les entreprises de moins de cinquante salariés. Si, en 2016, Berger n'était pas hostile à une inversion de la hiérarchie des normes, donnant la primauté à l'accord d'entreprise, c'est parce que, même dans les petites boîtes, les délégués syndicaux ou les salariés mandatés ne sont pas seuls face à la pression de l'employeur lorsqu'il faut signer, ou pas, un accord. Ils le font avec l'aval du syndicat. C'est-à-dire une structure extérieure à l'entreprise, organisée à l'échelle départementale, voire nationale. Or, la réforme supprime ce verrou : dans les entreprises de moins de cinquante salariés, soit 95 % des entreprises en France, les accords pourront être négociés avec de simples élus du personnel. Fini le mandatement syndical, fini le syndicat, fini le verrou. Sans faire réagir plus que cela la principale centrale du secteur privé.
FO, enfin, semble s’être perdue dans son exercice de repositionnement, trop rapide et grossier pour être sincère. Et dont elle pourrait ressortir très abîmée. Dans la rue avec la CGT l’année dernière pour combattre la loi El Khomri, son secrétaire général paraît cette fois-ci adouber, par défaut d’expression claire, cette réforme autrement plus libérale.
Pas vraiment de quoi, pour les trois principales confédérations, relancer une machine à adhésions déjà bien grippée. Mais que le pouvoir ne se réjouisse pas trop vite : quand les corps intermédiaires s’affaiblissent, c’est la rue qui risque de prendre la parole. Et pas toujours de la manière la plus pacifique.