Sur la petite terrasse d'Alain, c'est radio cyclone. Un vieux transistor récupéré dans le cagibi crachouille Urgence Ile du nord, la fréquence spécialement créée pour les ouragans. A quelques minutes de l'arrivée du cyclone Maria, l'urgence n'est pas tant de se calfeutrer que de glaner les dernières nouvelles des autres îles des Caraïbes. Une constellation de communautés vit à Sandy Ground, l'un des quartiers les plus défavorisés de Saint-Martin, situé sur un banc de sable près de la mer. Du coup, Alain est harcelé de questions. Diego veut savoir où en est la Dominique, Gilbert s'intéresse à la Guadeloupe. Quant à Firmin, c'est Haïti qui le turlupine. «Vous allez me faire craquer là», rit Alain, en servant un café instantané.
Aidé par un voisin, il finit par écailler un fil électrique pour ne récupérer que le métal central avec lequel il forme une antenne qu'il pose sur le transistor. Le son monte de plusieurs niveaux. «C'est bon là ? Vous êtes contents ? », s'esclaffe-t-il à nouveau. A une dizaine de mètres, le front de mer commence à se déchirer. Le ciel noircit et les nuages semblent si bas qu'ils pourraient caresser la nuque. Les vagues déferlent contre la digue en béton de la maison de Jocelyne. Cette infirmière de l'hôpital public de Marigot range le stock de médicaments et de vêtements collectés afin d'éviter qu'ils ne prennent l'eau. Philosophe, elle dédramatise : «C'est un nouveau moment difficile à passer mais après Irma, on ne voit pas ce qui pourrait nous arriver de pire ». Ici, la mer est tout de même entrée dans toutes les pièces. Un voilier de 15 mètres a également ripé contre la digue avant d'éventrer le salon de la maison voisine.
Vers 9 heures, heure locale, un contingent du service militaire adapté (RSMA) apparaît comme par magie. Les jeunes, venus de toutes les collectivités d'outre-Mer, aident au déblaiement des rues bardées de déchets de Sandy Ground. Alors que la pluie se fait plus intense, ils chargent en priorité les tôles, pour éviter que les vents de 150 km/h annoncés ne les transforment en projectiles. L'adjudant donne de la voix : «On se laisse 45 minutes pour évacuer 75 mètres de débris. Allez, allez, allez, on tape, on tape !». Sur leur terrasse, Alain et Gilbert, eux, contemplent le spectacle en se décapsulant une petite bière.
Georges calfeutre les fenêtres de sa maison en cloutant des planches à Sandy Ground.
«Je vais mettre les cabris dans la maison»
Attaché à un palmier de la plage, une chèvre broute paisiblement une chaise en osier. A côté, un bouc fait les cent pas et pousse des cris apocalyptiques. Jean-Claude, leur propriétaire accourt :«Je vais mettre les cabris dans la maison sinon ils vont se noyer», hurle-t-il. D'après les prévisions météo, les vagues pourraient atteindre 5 à 6 mètres à Sandy Ground. Sur la chaussée, l'adjudant accentue la pression : «Le frigo, là, ça dégage, ça dégage, on n'a plus le temps, dépêchez-vous !» Perchés sur des échelles, les pères de famille achèvent de clouter les fenêtres. Tout le monde s'agrippe à son téléphone pour échanger des nouvelles et essayer d'en savoir plus, via Whatsapp, sur les membres de la famille éparpillés dans les autres îles des Caraïbes . Mais le réseau Internet tombe rapidement en panne. Il ne reste plus que le téléphone. Qui sait pour combien de temps ?
A mesure que la matinée avance, la rue se vide. Chacun est désormais retranché et les palmiers se rapprochent de l'horizontal. Les bourrasques jouent une mélodie bien rodée tandis qu'Urgence Ile du Nord diffuse le «Poinçonneur des Lilas». Puis l'eau commence à inonder les cours des maisons. A partir de 14 heures, Saint-Martin entre en vigilance violette, l'échelon maximal. Au loin, la voix d'un agent de la sécurité civile fend la pluie : «Partez d'ici si vous n'êtes pas sûr de votre maison. Ça va frapper aussi fort qu'Irma.»
La maison de Georges, construite au bord de l’eau, risque la submersion. Pendant Irma, 1m50 d’eau y est rentré.