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Mine

En Guyane, bras de fer autour d'une «montagne d'or»

Un projet d’extraction du précieux métal, porté en Guyane française par un consortium russo-canadien, se heurte à une opposition citoyenne et associative tenace. Un débat régional est annoncé pour mars 2018.
Les chutes Voltaire traversent le massif guyanais du Dékou-Dékou, au pied duquel se trouve le gisement principal du projet Montagne d'Or. (Photo CC BY-SA 3.0 / Riri97 via Wikimedia)
publié le 22 septembre 2017 à 13h01

Une lutte s’est engagée en Guyane contre l’industrie extractive. Celle de citoyens, d’associations et d’une poignée d’élus contre le projet aurifère intitulé «montagne d’or», soutenu par la quasi-totalité de la classe politique guyanaise et par le chef de l’Etat, Emmanuel Macron.

Ce projet, – dont l’instruction par l’administration française pourrait débuter à la fin de l’année et durer deux ans –, est détenu à 55% par le magnat de l’acier Alexei Mordachov, classé deuxième fortune de Russie, et à 45% par la société minière Columbus gold, basée à Vancouver. Si le projet obtient toutes les autorisations, il pourrait être lancé dès 2019 pour une production en 2022.

Le projet industriel est classé Seveso (installation industrielle dangereuse, en raison de la présence d’une usine de cyanure qui permet d’extraire l’or) et est situé entre deux réserves biologiques à haute valeur en matière de biodiversité. Si durant vingt ans le projet n’a pas beaucoup avancé, il agite désormais les esprits car il pourrait créer un précédent en Guyane, cette collectivité territoriale forestière et rurale assise sur des gisements d’or.

32 Stades de France

Une note d'information interministérielle de février 2016 caractérisait «montagne d'or» de dossier «hors normes par ses aspects économiques» et les «empreintes spatiales et écologiques de dimensions inconnues en France» qu'il induirait. L'étude technique prévoit de dynamiter le sol pour obtenir une fosse grande comme 32 Stades de France, dans une zone isolée de la forêt amazonienne où des orpailleurs creusent depuis cent cinquante ans.

«On prévoit de produire 85 tonnes d'or sur douze ans, avec un taux de l'or à 1200 dollars [1000 euros environ, ndlr] par once [et sur un gisement estimé à 150 tonnes]. Si le cours de l'or augmente ou si on peut faire baisser le coût de l'exploitation, on pourrait prévoir d'exploiter plus, et étendre la durée de vie de la mine de quelques années», expose Rock Lefrançois, président de la Compagnie minière montagne d'or, maître d'ouvrage. Au bout de douze ans d'exploitation, le déblai accumulé entraînerait la création artificielle et permanente de deux dômes de roches de hauteur équivalente à la dune du Pilat et d'un mont haut comme l'Arc de Triomphe, renfermant «54 millions» de tonnes de boue issues de procédés mécaniques et chimiques, endiguées puis scellées sous une couche d'argile.

«Un débat public est prévu pour mars 2018, il va durer quatre mois. Il aurait pu avoir lieu il y a des années et la population aurait eu le temps d'être informée et de prendre sa décision en toute connaissance de cause», a reproché mercredi soir Nora Stephenson, l'un des porte-parole du collectif guyanais «Or de question», soutenu par la Fondation Nicolas Hulot.

«57 000 tonnes d’explosifs»

Au cours d'un rassemblement organisé à Cayenne, les opposants ont pointé les impacts liés, par exemple, à l'utilisation de «57 000 tonnes d'explosifs» et les dégâts que pourrait entraîner une catastrophe industrielle sur le réseau hydrographique qui parcourt ce bout de forêt battu par la pluie amazonienne, deux fois plus tenace que dans le Finistère.

Mais pour Rock Lefrançois, la surveillance est une priorité. «Les digues [des déchets miniers] sont conçues pour les crues centennales. Il y a des forages qui surveillent en continu les eaux souterraines si jamais il y a des traces ou des niveaux élevés de certains métaux. Les forages resteront sur site pendant les cinq ans de réhabilitation et ensuite il y aura un suivi environnemental sur trente ans.»

La Compagnie défend la démarche de «mine responsable», lancée par Arnaud Montebourg et reprise par Emmanuel Macron. Un «livre blanc» sur la réduction des impacts est d'ailleurs annoncé, mais il tarde à être dévoilé par le gouvernement et devra convaincre les opposants. Car le site nécessiterait les premières années d'être approvisionné par l'équivalent de 26 groupes électrogènes au fioul, 120 hectares de champ solaire ou 8 km2 de forêt brûlés chaque année.

«Forte dépendance à la nature»

Pour les promoteurs, le souffle fiscal et économique qu'ils apportent est unique dans cette collectivité où le revenu par habitant est deux fois moins important que la moyenne nationale. Ils chiffrent le besoin à «750 emplois» pendant l'exploitation – pour comparaison, 1700 salariés travaillent au centre spatial guyanais –, dont «plus de 350 en opérateurs de machinerie lourde», «2500 emplois indirects» et «350 millions d'euros» de retombées fiscales.

«Il y a une crise sociale et évidemment c'est compliqué de dire à une mère en galère ou à un jeune qu'il faut sauver trois espèces de grenouilles, a exprimé mercredi Christophe Pierre, leader de la Jeunesse autochtone et membre du collectif d'opposants. Mais ce qu'on a oublié, c'est notre forte dépendance à la nature.» Le WWF, opposé au projet, vient de publier un rapport, «Montagne d'or, un mirage économique ?», contesté par les promoteurs.

Pour l'organisation non gouvernementale, «montagne d'or» capterait «420 millions d'euros de fonds publics». Partant de l'«incertitude sur la rentabilité», liée à la volatilité du cours de l'or et à la dépendance au taux de change euro-dollar, le WWF gage que «si la rentabilité se dégradait, les promoteurs feraient tout pour la rétablir, notamment en réduisant les dépenses liées au social et à l'environnement» et «l'impôt sur les sociétés qui est la principale retombée attendue».