C'est l'impôt qui a pour caractéristique à la fois de peu rapporter à l'Etat (1) et de susciter le plus de passions politiques. L'impôt sur la fortune est une sorte de taxe totem. Plusieurs chefs d'Etat ont voulu le réformer, voire le supprimer, avec plus ou moins de succès. A son tour, Emmanuel Macron a décidé de le modifier, en le transformant en un simple impôt sur la fortune immobilière. Retour sur trente-cinq ans d'une histoire mouvementée, ainsi résumée par Martin Collet, enseignant-chercheur en droit public à l'Université Paris-II Panthéon-Assas : «A droite comme à gauche, il y a toujours eu la crainte d'assumer complètement les modifications de cet impôt. La droite a toujours été tétanisée d'apparaître comme faisant des cadeaux aux plus fortunés. Et symétriquement la gauche a toujours eu un peu l'angoisse d'être taxée de démagogue, d'avoir une démarche antiéconomique, de faire fuir ceux qui créent la richesse.»
Sous François Mitterrand, la naissance
Tout juste arrivé au pouvoir, François Mitterrand instaure l'ancêtre de l'ISF, l'impôt sur les grandes fortunes (IGF) en 1982. Le principe est simple (et encore admis aujourd'hui) : il faut faire participer davantage ceux qui ont une fortune importante. Mais histoire de ne pas surcharger la barque, les œuvres d'art ne sont par exemple pas prises en compte dans le calcul de cet impôt.
En 1986, sous la première cohabitation, le Premier ministre de droite Jacques Chirac fait voter l'abrogation de l'IGF. Décision impopulaire qu'il va regretter. «A l'époque c'est un sujet qui a fait polémique. Il murmurait, après sa défaite à la présidentielle de 1988 contre Mitterrand qu'il pensait avoir perdu à cause de la suppression de cet impôt», raconte Martin Collet. Quand Jacques Chirac reviendra au pouvoir en 1995, cette fois comme président, il se garde d'ailleurs de proposer à nouveau son abrogation.
Car entre-temps, les socialistes sont revenus aux affaires, en 1988. L'IGF est alors rétabli sous le nom d'ISF (impôt de solidarité sur la fortune) par le gouvernement Rocard. Le mot «solidarité» introduit dans le nom de l'impôt n'est pas anecdotique. Pour mettre en avant l'aspect social, dans une volonté de «redistribution des richesses», le gouvernement explique alors que cela financera le RMI (revenu minimum d'insertion).
Mais le gouvernement de Michel Rocard veut éviter que l'ISF devienne «confiscatoire». «C'est le mythe du paysan de l'île de Ré qui devrait se séparer de son lopin de terre pour pouvoir payer l'impôt [à cause de la valeur de son patrimoine] alors qu'il a des revenus extrêmement limités», explique Martin Collet. Il va modérer les taux d'imposition et élaborer un plafonnement, de sorte que le total de l'ISF et de l'impôt sur le revenu (IR) ne dépasse pas 70% du revenu imposable des redevables. Ce plafonnement va varier à de nombreuses reprises par la suite. «Les modalités et les méthodes de calcul ont évolué, les perfectionnements étaient plus ou moins généreux à l'égard des grosses fortunes mais l'idée était toujours la même», précise Martin Collet.
Sous Nicolas Sarkozy, le bouclier fiscal
En 2007, Sarkozy renforce le bouclier fiscal, décision qui a eu pour conséquence de considérablement amoindrir le poids de l'impôt pour les plus riches. Cette mesure est l'œuvre de Dominique de Villepin, qui en 2005 avait mis sur pied ce dispositif permettant de plafonner le taux d'imposition global des contribuables à hauteur de 60% de leurs revenus.
Face aux critiques de l'opposition, Sarkozy va faire machine arrière. «En 2011, pour rompre avec son image de "président des riches", il fait adopter par le Parlement la disparition du bouclier fiscal qui lui a collé à la peau. En parallèle, il rehausse les seuils d'entrée dans l'ISF et abaisse aussi les taux de l'ISF pour les rendre beaucoup plus légers, ce qui est plus favorable aux personnes aisées», explique Martin Collet. Le seuil d'entrée du patrimoine soumis à l'ISF était fixé 800 000 euros, il passe alors à 1,3 million d'euros. De fait, moins de personnes y sont assujetties. Cette décision visait surtout à prendre en compte l'évolution des prix de l'immobilier (à Paris où beaucoup d'appartements atteignent facilement le million d'euros).
Sous François Hollande, retour à l’ancien barème
En 2012, Français Hollande revient à son tour sur l'ISF. Pour calculer cet impôt, on se réfère à des tranches, chacune correspondant à un certain taux de taxation. C'est ce que l'on appelle le barème progressif, qui sous François Hollande passe de deux à cinq tranches. Cela correspond à peu près à ce qui existait avant Sarkozy. Il revient aussi à ce qui existait avant la réforme de 2011 pour le seuil d'entrée (800 000 euros). Font partie des biens pris en compte pour déterminer la valeur d'un patrimoine : les biens meubles (bijoux, bateaux, meubles, véhicules…) et immobiliers (appartements, bâtiments et terrains construits ou non), les placements (assurance vie, actions, obligations…) et les liquidités (avoirs bancaires, livret A…).
Sous Emmanuel Macron, un recentrage sur l’immobilier
Le gouvernement a présenté mercredi son projet de réforme de l'impôt sur la fortune. Emmanuel Macron a choisi de le recentrer sur la seule «rente immobilière», en excluant de son champ le patrimoine mobilier l'épargne et les placements financiers. Ainsi, l'ISF va se transformer en un impôt sur la fortune immobilière (IFI). «L'idée est d'encourager les gens qui ont de l'argent à investir dans les entreprises plutôt que dans l'immobilier, car cela produirait davantage de richesses et créerait de l'embauche», analyse Martin Collet. Le gouvernement soutient aussi que cette mesure pourrait dissuader les personnes aisées de s'expatrier dans des pays à la fiscalité plus favorable. Le message est clair : «Il consiste à dire qu'en effet, on fait des cadeaux aux entreprises et aux personnes qui ont un patrimoine important. Il y a moins de redistributions dans un premier temps, mais le gouvernement fait le pari que l'activité économique générera des recettes fiscales qui permettront indirectement de soutenir les moins aisés», précise Martin Collet. Cependant, ce choix est risqué. «C'est effectivement un pari sur l'avenir… Car vous ne pouvez pas forcer les gens à investir là où ils n'ont pas envie d'investir», mettait en garde Pierre Madec, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), dans Libération mercredi.
(1) En 2015, l'ISF rapportait 5,2 milliards d'euros et représentait environ 1,8% des recettes fiscales nettes de l'Etat.