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Histoire

Les GAL hantent toujours l’Espagne

Les milices créées par Madrid dans les années 80 ont exécuté plusieurs dizaines de membres d’ETA en France.
Les Groupes antiterroristes de libération ont frappé des deux côtés de la frontière franco-espagnole entre 1983 et 1987. Ici, à Biarritz. (Photo Daniel Velez. AFP)
publié le 28 septembre 2017 à 20h36

Nos révélations sur l’existence et le rôle du Chacal dans le scandale français des stups risquent de réveiller quelques fantômes de l’autre côté des Pyrénées. Le parcours de cet ancien tueur reconverti dans les affaires, protégé en très haut lieu, ravive en effet une des pages les plus noires de la démocratie espagnole. Au début des années 80, en plein conflit séparatiste basque, Madrid ne supporte plus de voir les militants armés d’ETA tuer des innocents sur son sol avant de se réfugier dans le Pays basque français.

Face à l'inertie du gouvernement de François Mitterrand, qui refuse d'extrader les terroristes présumés, Madrid décide alors de créer clandestinement les Groupes antiterroristes de libération (GAL). L'objectif assumé de ces escadrons de la mort est d'«assassiner les assassins» en vengeant chaque attentat d'ETA, mais aussi de semer la terreur sur le sol français afin de retourner l'opinion publique, jugée trop favorable à la cause basque.

Le recrutement des tueurs s'opère principalement dans les rangs des barbouzes d'extrême droite, où se croisent anciens mercenaires, soldats perdus de l'Algérie française et anciens gros bras du Service d'action civique, le célèbre service d'ordre gaulliste dissous en 1982. Mais les GAL s'appuient aussi sur des équipes de voyous venus de Bordeaux, Marseille ou Cannes, comme le Chacal, rompus au maniement des armes et attirés par les primes accordées à chaque assassinat d'un «etarra» (militant d'ETA) ciblé par l'organisation.

Entre décembre 1983 et juillet 1987, une trentaine d’assassinats sont commis en France. C’est la vague d’attentats la plus meurtrière sur le territoire depuis la guerre d’Algérie. Charles Pasqua sera le premier à accuser ouvertement le gouvernement espagnol d’être derrière les GAL. Au nom de la nouvelle coopération antiterroriste entre les deux pays, lancée en 1986, et en signe d’apaisement, le ministre de l’Intérieur d’alors autorise une vague d’expulsions de militants basques réfugiés en France, accélérant la disparition des GAL.

Au cours des années suivantes, tout est fait pour éviter le grand déballage sur cette «guerre sale». De Bayonne à Bordeaux, la plupart des enquêtes judiciaires s'enlisent, quand elles ne sont pas directement freinées par le pouvoir politique. Les rares procès qui ont finalement lieu en France aboutissent uniquement à la condamnation de lampistes, malgré la mise au jour de complicités au sein de l'appareil policier français. «La raison d'Etat prime sur tout», justifie alors le procureur de Bayonne.

En Espagne, les enquêtes sur les GAL, confiées au célèbre juge d’instruction Baltasar Garzón, font beaucoup plus de bruit. Des hauts responsables policiers sont inculpés, éclaboussant au passage une partie de la classe politique. A l’été 1998, un procès historique se tient à Madrid, à l’issue duquel un ancien ministre de l’Intérieur, José Barrionuevo, est condamné à dix ans de prison. Mais trente ans plus tard, cette période est très loin d’avoir livré tous ses secrets. Un tiers de la quarantaine d’attentats attribués aux GAL n’ont jamais été élucidés. Pas plus que les liens entre l’organisation et le trafic de drogue.