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Justice

Affaire Grégory : expertises en écriture et illusions

Affaire Grégory, une histoire françaisedossier
Un complément d'expertise en écriture a été versé au dossier. L'experte confirme ses premières conclusions du mois d'avril : deux des lettres anonymes seraient de la main de la grand-tante de Grégory, Jacqueline Jacob.
Reproduction d'une des lettres de menaces adressées aux parents du petit Grégory Villemin, 4 ans. (Photo AFP)
publié le 3 octobre 2017 à 15h34

Combien de personnes ont-elles eu entre les mains cette grande enveloppe «contenant une chemise bleue avec à l'intérieur quatre pochettes transparentes» ? Combien d'experts ont précautionneusement déballés Q1, Q2, Q3 et Q4, comme on les appelle dans la procédure ? Dans le langage profane, ces scellés sont connus comme les «lettres du corbeaux», ce volatile qui a menacé la famille Villemin. Jusqu'à mettre à exécution sa funeste prophétie en tuant Grégory, 4 ans, le 16 octobre 1984. Ces quatre courriers sont au cœur de l'énigme de la mort du petit garçon qui hante la justice depuis plus de trente ans. La première date du 4 mars 1983, elle a été envoyée à Jean-Marie Villemin avec ce court texte en écriture capitale et truffé de fautes d'orthographe : «Je vous ferez la peau à la famille Villemain.» (sic). Ensuite, il y a eu celle du 27 avril reçue par ses parents, Albert et Monique Villemin, et commençant par «si vous voulez que je m'arrête» (également en lettres d'imprimerie). Lors de sa missive suivante, le 17 mai 1983, le corbeau opte pour un style plus personnel et passe en lettres cursives. Dans ce texte de trois pages, il fait ses adieux à la famille : «Ceci est ma dernière lettre, vous n'aurez plus aucune nouvelle de moi. Vous vous demanderez qui j'étais mais vous trouverez jamais.» Pourtant, le lendemain de la mort de Grégory, l'oiseau de malheur s'adresse directement au père de l'enfant, encore une fois en écriture cursive : «J'espère que tu mourras de chagrin le chef. Ce n'est pas ton argent qui pourra te redonner ton fils. Voilà ma vengeance, pauvre con.»

«Tournant»

Tout a été tenté : on a cherché de l'ADN, traqué des traces de foulages ou des «traces latentes». Sans succès. Des dizaines d'experts se sont penchés sur la forme des lettres, ont examiné les boucles, les densités, les positionnements, les marges, les systèmes de liaison. Ils n'ont eu de cesse d'osciller entre deux scripteurs : Bernard Laroche, le cousin de Jean-Marie Villemin asssasiné par ce dernier, et Christine Villemin, la mère de l'enfant, blanchie par la justice. Alors, ce dimanche, les révélations du JDD semblent fracassantes : «un nouveau rapport d'expertise accuse Jacqueline Jacob», est-il écrit. Plus encore, il s'agirait d'«une série d'hypothèses inédites sur la lettre de revendication du crime», «un tournant dans cette affaire vieille de trente-trois ans», «un lien établi entre l'assassin et Jacqueline Jacob». L'idée est sans doute alléchante mais la réalité, différente. En effet, il faut d'abord constater que ce document de 47 pages, que Libération a pu consulter, n'est pas un nouveau rapport mais plutôt un complément du précédent. Le 19 avril 2017, l'experte judiciaire, Christine Navarro, avait en effet remis un premier travail concluant que la grand-tante de l'enfant, âgée de 73 ans, avait «vraisemblablement écrit le courrier anonyme du 27 avril 1983» et «pourrait avoir écrit la lettre anonyme de 1983», soit les deux lettres en caractères d'imprimerie. Ces résultats avaient précipité l'interpellation du couple. Ils sont aujourd'hui mis en examen pour «arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire suivi de mort» et placés sous contrôle judiciaire.

Main gauche et main droite

Le 6 juin 2017, lors d'une perquisition chez eux, à Aumontzey, de nouvelles pièces avaient été prélevées aux fins d'expertise : des cartes de vœux, un répertoire, un menu de fiancailles ou encore une lettre de rupture commencant par «Marcel juste ces quelques lignes pour te dire que je te quitte…» de la main de Jacqueline Jacob. L'experte a de nouveau été missionnée par Claire Barbier, présidente de la chambre de l'instruction, pour examiner ces écrits afin de savoir s'ils confortaient ses premiers travaux. Dans son rapport du 9 août 2017, cette dernière maintient ses positions : «Jacqueline Jacob a vraisemblablement écrit le courrier anonyme du 27/04/1983 et pourrait avoir écrit la lettre anonyme de 1983.» Qu'en est-il des deux autres lettres, dont celle de revendication ? Dans son premier rapport, l'experte notait «qu'elles ne semblent pas avoir été écrites par Jacqueline Jacob». Cependant elle ne pouvait être formelle, disposant de peu d'écrits de la main gauche et d'aucun de la main droite de la suspecte, à titre de comparaison. Dans cette deuxième mouture, elle est plus précise et dédouane Jacqueline Jacob, plus qu'elle ne l'accable : les derniers courriers «ne semblent pas avoir été écrit de la main gauche», «n'ont pas été écrits de la main droite» de Jacqueline Jacob. Une fois encore, elle note «qu'aucun avis préemptoire ne peut être émis en raison du peu d'écrits de la main gauche».

En outre, depuis le crime, aucun expert en écriture n'a pu établir que toutes les lettres émanaient d'un même scripteur. Certes, il y a certaines similitudes entre la lettre du 27 avril et celle de mai 1983, donc celle en lettres d'imprimerie et celle en lettres cursives : «Les enveloppes sont de même dimension, de même marque avec le même numéro de lot», «elles proviennent d'un même type de support, un petit cahier à grands carreaux» et certains termes reviennent dans les courriers comme «le chef » «batard», «être mis de côté». Pour autant, on ignore combien d'enveloppes comportait le lot en question. L'experte, d'ailleurs, se garde bien d'en tirer des conclusions : «car la différence des types d'écritures a considérablement limité l'étude comparative entre ces écrits anonymes». Un rapport de l'IRCGN du 7 avril 2011 arrivait  à la même conclusion car les modes d'écriture présentent «de très nombreuses différences graphiques». Finalement, si ce rapport complémentaire conforte le précédent, il n'apporte pas vraiment d'éléments nouveaux.