Abdelkader Merah se montre sous un jour obséquieux. Il donne du «monsieur le président» à Franck Zientara, qui dirige la cour d'assises spéciale, et recourt à un phrasé ampoulé. Son accent chantant et son apparence toujours aussi soignée achèvent de trancher avec sa réputation de doctrinaire froid et violent. Au deuxième jour de son procès, le grand frère de Mohammed Merah, celui qui a tué 7 personnes en mars 2012 au nom d'Al-Qaeda, devait se soumettre à un interrogatoire de personnalité. L'un des enjeux du procès est de déterminer s'il a bel et bien endoctriné son frère pour le pousser vers l'irréparable.
Aux Izards, le quartier toulousain des Merah, Abdelkader était connu comme le loup blanc. D’abord comme délinquant notoire, alcoolique et adepte du cannabis. Son premier surnom était d’ailleurs «Jack», pour la marque de whisky Jack Daniels. Le vent tourne après les attentats du 11 septembre. Aux pieds des immeubles, Abdelkader glorifie les pirates qui écrasent leurs avions sur les tours du World Trade Center. Pour ses copains, il devient «Ben Ben», en référence au leader saoudien d’Al-Qaeda Oussama Ben Laden.
La mue, spectaculaire, se situerait autour de 2005 et d'un énième passage en détention pour des délits de droit commun. Abdelkader se convertit à l'islam radical et n'en reviendra plus. En 2006, il se marie par téléphone avec Yamina M., via un mystérieux tuteur dont il tait le nom. «Pourquoi, interroge le président. On va s'imaginer des choses...» «Vous n'avez pas besoin de ça pour imaginer des choses», rétorque, cinglant Abdelkader. De sa conversion, il dit qu'elle a eu un effet bénéfique : «Je n'ai plus eu de condamnation, je n'ai pas volé un bonbon.»
«Ma vie était parfaite»
Enfant, il fut balloté au gré des pérégrinations de sa mère Zoulikha A., mariée trois fois. Venue d'Algérie pour rejoindre le père de ses enfants, elle divorce en 1993. Abdelkader échoue alors dans un foyer à Villefranche-de-Rouergue (Aveyron). De cette dislocation, il dit : «Ma vie était parfaite avant le divorce de mes parents. Ensuite, c'était la Seconde Guerre mondiale.» En grandissant, Abdelkader prend l'ascendant à la maison. Lorsqu'il pique une colère, sa mère se calfeutre dans sa chambre. Selon un rapport éducatif, l'adolescent est alors «espiègle, intelligent, à l'affût du moindre coup».
En 2006, Abdelkader file en Egypte. Il assure vouloir y apprendre l'arabe. A son retour, l'aîné de la fratrie, Abdelghani, note un discours plus «haineux», plus «politisé», évoquant «le combat contre les Juifs, les Américains et les mécréants.» Durant l'enquête, les policiers ont exhumé une photo d'Abdelkader et Mohammed au Caire : ils posent couteau à la main devant un Coran ouvert.
Du tueur au scooter, il fut justement question au deuxième jour du procès. Au juge, Abdelkader avait dit lors de l'instruction : «Je suis fier de la façon dont Mohammed est mort. Il est mort en combattant, c'est ce que nous enseigne le Coran.» Réintérrogé à l'audience, cette fois-ci par Olivier Morice, l'avocat d'une victime de Merah, il tempère : «Si je n'ai pas condamné les actes de mon frère, c'était pour ne pas le déshonorer.» «Selon vous, Mohammed, il est en enfer ou au paradis», relance la partie civile. Abdelkader se rengorge, et lâche : «Je ne suis pas Dieu».