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Libération
Enquête

PMA : la Manif pour tous de retour en terrain connu

Le mouvement né des débats sur le mariage pour tous vient de lancer une campagne d’affichage sauvage, qui assimile les enfants nés grâce à la procréation médicalement assistée à des légumes OGM. Une tentative de revenir sur le devant de la scène après ses échecs politiques.
Mobilisation contre la PMA pour les couples de femmes et la GPA, le 5 octobre 2014 à Paris. (Photo Albert Facelly)
publié le 9 octobre 2017 à 19h16

Pour sa rentrée, la Manif pour tous l'avait promis : une campagne d'affichage sauvage contre la PMA et la GPA. C'est fait. Et très violemment. «Après les légumes OGM, les enfants à un seul parent ?» clame l'un de ses nouveaux slogans sur fond (éternellement) rose… «Comparer les bébés nés après FIV ou insémination à des légumes OGM est profondément offensant pour les enfants et leurs familles», a rétorqué Marlène Schiappa, la secrétaire d'Etat chargée de l'Egalité entre les femmes et les hommes, demandant le retrait de ces affiches, vues aussi sur les réseaux sociaux.

Déjà sur les sentiers de la guerre, les troupes de Ludovine de la Rochère ? Oui, très clairement. Ces derniers jours, le mouvement a prouvé que son impact médiatique restait redoutable. Pour l'heure, c'est sa principale force. «Nos militants nous demandaient de passer à l'action», nous expliquait, à la mi-septembre, Albéric Dumont, figure emblématique du mouvement et vice-président. A ce moment-là, les affiches étaient déjà prêtes mais tenues secrètes. La Manif pour tous est en pleine phase de remotivation de ses troupes. Parallèlement à la campagne d'affichage, son staff multiplie les déplacements sur le terrain et les conférences.

«Boule de cristal»

Cinq ans après sa bataille contre la loi Taubira sur le mariage gay, la Manif pour tous est devenue une véritable arme de dissuasion, préemptant les débats. Dès les premières escarmouches autour de la PMA, le gouvernement d'Edouard Philippe a temporisé, renvoyant sa légalisation pour les couples de lesbiennes et pour les femmes seules à… on ne sait pas trop quand. «Je ne veux pas que la société se divise», a fait valoir le président Macron, promettant de «ne pas trancher par la loi», «un débat qui n'est pas mûr». La force de la Manif pour tous ? La menace, celle de faire descendre ses partisans dans la rue. Dès son université d'été à la mi-septembre, le mouvement a joué la montée en pression. Plusieurs cadres départementaux assuraient qu'ils sentaient «déjà un frémissement dans la mobilisation» contre la PMA. Un discours raccord avec celui de la présidente Ludovine de la Rochère, clamant urbi et orbi qu'elle était capable, «si besoin était», d'organiser de nouvelles manifestations. Des éléments de langage habilement distillés.

La Manif pour tous conserve indéniablement des bases solides. A commencer par la pérennisation d'une structure (quasi militaire), héritée des grandes manifestations de 2012-2013. Elle peut compter sur un premier cercle fidélisé, actif et militant qui se retrouve à chacune de ses universités d'été, un public d'environ 200 personnes. Elle a ses locaux dans le XVe arrondissement à Paris (dont elle ne divulgue pas l'adresse), un salarié «qui s'occupe de l'administratif», quelques auto-entrepreneurs pour des prestations à temps partiel (dont la chargée de communication), un noyau dur de bénévoles à Paris (son comité de pilotage chapeautant une dizaine de directions opérationnelles) qui se réunit mensuellement.

Le mouvement peut toujours compter sur son efficace quadrillage territorial. Olivier, la cinquantaine et consultant financier de son métier, est l'un des délégués départementaux de la Manif pour tous dans le Nord. «J'ai un fichier de 200 adresses mail que j'ai activé après les déclarations de Marlène Schiappa», explique-t-il. Pour sa mobilisation contre la loi Taubira, le mouvement s'est aussi appuyé sur le maillage de l'Eglise catholique, en particulier celui (très efficace) des paroisses. Il a trouvé là l'une des clés de ses premiers succès en 2012-2013.

Mis en place il y a cinq ans, ces réseaux existent toujours. Selon Albéric Dumont, la Manif pour tous diffuse sa newsletter à 400 000 abonnés. Mais au-delà du noyau dur, ces réseaux sont pour le moment plutôt dormants. Sont-ils réactivables, et aussi massivement qu'il y a cinq ans, contre la PMA ? «Pour répondre, il faudrait une boule de cristal», évalue le politologue Jérôme Fourquet, directeur à l'Ifop. Trop tôt pour y voir clair.

«Tensions»

Mais contrairement à ce que la Manif pour tous veut faire croire, les signaux actuels d'une mobilisation sont faibles. A la base, les anciens manifestants apparaissent plutôt las. Peu sont disposés à évoquer les années 2012-2013, voire, parfois, à avouer qu'ils ont manifesté. «Cela a beaucoup fait de mal à l'image des catholiques», lâche, en référence à la mobilisation contre le mariage gay, Cyprien, étudiant d'une vingtaine d'années, à la sortie d'une église parisienne. Bien qu'opposé à la PMA, il dit préférer «convaincre individuellement autour de lui» que défiler dans la rue. Même réticence chez Karine, la quarantaine, très mobilisée il y a cinq ans (elle a été de toutes les manifestations) et beaucoup moins partante aujourd'hui : «Je ne sais pas ce qu'envisage la Manif pour tous mais personnellement, je ne me vois pas à nouveau marcher dans la rue en agitant des petits drapeaux roses et bleus.»

Clivante et radicale, la Manif pour tous a provoqué de profondes dissensions dans le camp catholique. Or, quoi qu'elle en dise (elle s'affiche aconfessionnelle), l'essentiel de ses troupes provient de là. Si une partie de ce public de prédilection lui fait défaut dans les mois à venir, cela constituera une vraie faiblesse. Elle ne pourra la compenser (au moins, c'est certain, en nombre) en allant chercher des troupes parmi les protestants évangéliques ou les musulmans conservateurs. «Dès la mi-2013, l'épiscopat catholique a pris ses distances. L'élection à la tête de la conférence des évêques de Georges Pontier, l'archevêque de Marseille, a changé la donne. Et au même moment, les curés faisaient remonter les tensions qu'ils percevaient dans les paroisses», rappelle le sociologue et historien Philippe Portier. Homme de consensus et «centriste» au sein de l'épiscopat, Georges Pontier a été beaucoup moins combatif que son prédécesseur, l'archevêque de Paris, André Vingt-Trois.

«Gueule de bois»

Depuis, cette prise de distance paraît s'être accentuée. «Les lignes ont bougé, estime un évêque de l'ouest de la France. Les débats suscités par le mariage pour tous sont à peu près derrière nous.» A Rome, le pape aussi a changé, orientant différemment les priorités de l'Eglise catholique. Il y a cinq ans, la Manif pour tous était en phase avec «les principes non négociables» (incluant une «défense de la famille») de Benoît XVI. François, le jésuite argentin, ne révolutionne certes pas le dogme. Mais la justice sociale, l'accueil des migrants, l'écologie, la lutte contre la financiarisation de l'économie priment désormais sur les questions de bioéthique. Sur ce terrain, François est conscient de la fracture entre son institution et les sociétés contemporaines, et il prêche le dialogue plutôt que l'affrontement, multiplie les gestes de bonne volonté, baptisant ici l'enfant d'une mère célibataire ou recevant là un couple gay… Bref, l'heure n'est plus à l'opposition pure et dure. Ce qui complique singulièrement les affaires de la Manif pour tous. Car, dans leur majorité, les catholiques sont plutôt légitimistes. Il n'y a guère que les plus identitaires, tendance Valeurs actuelles ou le Salon beige, qui n'hésitent pas à croiser le fer avec le pape François.

Pour rassembler (éventuellement) ses anciennes troupes, la Manif pour tous doit également se remettre d'échecs politiques cuisants. Elle rêvait de peser électoralement, de transposer dans les urnes ses succès obtenus dans la rue. Raté. «Jusqu'ici, ses tentatives ont échoué», confirme Jérôme Fourquet. Le politologue égrène les revers, de l'appel à faire barrage à la candidature de Nathalie Kosciusko-Morizet à la mairie de Paris jusqu'à la déroute électorale de François Fillon et celle des candidats de Sens commun adoubés par LR aux législatives. «Beaucoup [d'anciens partisans, ndlr] ont été sonnés par la défaite de François Fillon et ont encore la gueule de bois», pointe un quinquagénaire catholique du Val-de-Marne. Et en appelant entre les deux tours de la présidentielle à un «tout sauf Macron», le mouvement a laissé apparaître au grand jour sa radicalité. Au prétexte de la défense de la famille, il fraie sans complexe avec l'extrême droite. Selon l'un de ses dirigeants, ce positionnement «a provoqué des débats en interne». Et le mot d'ordre n'a guère été suivi. La preuve, le score d'Emmanuel Macron à Versailles (76 % des voix au deuxième tour), l'un de ses bastions historiques. Bilan : en termes d'influence, le mouvement de Ludovine de la Rochère se réduit, à l'automne 2017, au périmètre d'un lobby. Pas suffisant pour drainer une nouvelle fois des centaines de milliers de gens dans les rues… Mais suffisant quand même pour rester au cœur des débats. C'est là le paradoxe.

S’il faut établir une jauge des capacités actuelles de mobilisation de la Manif pour tous, on peut la comparer avec celles des lobbies pro-vie hexagonaux. Certes de mieux en mieux organisés (et banalisés) mais toujours assez confidentiels. Chaque année, en janvier pour leur très traditionnelle et réactionnaire Marche pour la vie, ils rassemblent entre 20 000 et 30 000 manifestants.

En clair, la Manif pour tous a besoin de temps. Pour faire (entre autres) oublier ses errements électoraux. Or, en reportant la légalisation de la PMA au-delà de 2018, le gouvernement d’Edouard Philippe lui en donne. Comme quoi la leçon des tergiversations de Hollande en début de quinquennat, n’a pas été retenue.