Dans le box de la cour d'assises de la Haute-Loire, il y a l'«écoeuré» et l'«écoutée». Ils sont assis à quelques mètres l'un de l'autre sur le banc en bois. Ils ne se jettent pas un regard. Berkane Makhlouf, 36 ans, semble figé dans une posture hébétée, bouche entre-ouverte et visage fixe. Cécile Bourgeon, 31 ans, se tient, quant à elle, emmitouflée dans son gilet, yeux fermés et visage masqué par un rideau de cheveux blonds colorés. On ne sait si elle dort ou si elle écoute sentencieusement le président qui lit l'acte d'accusation. Entend-elle les mots qui constituent la trame du drame, ceux qui racontent la mort de sa fille ? il y a «le décès dans la nuit de samedi à dimanche», le «vomi dans le lit», «l'hématome intra-cranien», «le corps dans le sac», «l'enterrement près du Lac d'Aydat», «le scénario du parc».
Les deux accusés sont rejugés au Puy-en-Velay pour «violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner». Autrement dit, ils doivent répondre de la mort de Fiona, 5 ans, en mai 2013.
Lorsque le président Etienne Fradin rappelle qu'en première instance, le beau-père de l'enfant a été considéré comme le seul responsable du crime et a écopé de 20 ans de réclusion criminelle, ce dernier prend spontanément la parole et s'indigne : «Moi, je suis écœuré par rapport au Puy-de-Dôme, à ce qui s'est passé. Ils m'ont condamné comme un criminel alors que moi, je n'ai jamais violenté Fiona !». D'une voix plus cotonneuse que révoltée, il poursuit : «J'aime trop les enfants, c'est verrouillé dans ma tête, je ne m'en prends pas à des enfants. Avec Fiona, je jouais au ballon, aux mikados, je la portais sur mes épaules... C'était un ange cette gamine, je n'avais aucune raison d'être violent avec elle».
Quant à Cécile Bourgeon, acquittée pour les faits criminels (mais condamnée pour quatre délits : recel de cadavre, dénonciation mensongère, non-assistance à personne en danger, modification de l'état des lieux de crime) par les jurés de la cours d'assises de Riom, elle récite un peu machinalement : «J'ai été entendue, on m'a écoutée. Mais que je sois en prison ou dehors, je sais que ma fille ne reviendra jamais. J'ai pris perpétuité.»
Deux semaines «pour tout reprendre à zéro»
S'ils semblent a priori sortis du coaltar médicamenteux dans lequel ils étaient plongés en première instance, aucun des deux ne compte endosser la responsabilité des coups portés à l'enfant. «Je reconnais les délits, je ne les conteste pas. Mais je n'ai jamais maltraité mes enfants», dit Cécile Bourgeon, d'une voix enfantine, laissant parfois poindre intonation un peu agacée. «Je n'ai pas su protéger ma fille, mais il y a une chose importante qui nous lie Berkane et moi : on était dans la drogue, polytoxicomanes à fond». L'intéressé tient à préciser : «... mais il y avait des moments de bonheur.» «S'il avait tapé Fiona, je l'aurais quitté», affirme alors Cécile Bourgeon.
Désormais, la cour d'assises a deux semaines «pour tout reprendre à zéro», selon les mots du président, pour tenter de répondre à ces questions : que s'est-il passé cette nuit de mai 2013 dans le huis-clos de l'appartement clermontois ? Comment la petite fille de 5 ans est-elle morte ? En l'absence du corps qui n'a jamais été retrouvé, ils devront se contenter de la parole vagabonde et confuse des accusés.