Elles sont en pause cigarette devant l'immense faculté de médecine de la Pitié-Salpêtrière, boulevard de l'Hôpital à Paris. Les remarques, comportements ou blagues sexistes, elles disent avoir tendance à les minimiser. «Une externe au bloc, on lui a demandé récemment si elle avait un petit copain, mais c'était plus pour la mettre mal à l'aise, la déstabiliser», raconte Camille, étudiante en sixième année. Parfois, en chirurgie orthopédique, de petites allusions sur le manque de puissance sont faites : «Allez, plus fort !» «Mais cela reste bon enfant», tempère Isaure, sixième année de médecine également, qui a réalisé un petit film tordant sur le sujet (Phallocrate, Ah bon studio, sur YouTube). Et puis «les garçons sont de moins en moins souvent entre eux».
Malgré tout, certaines filles sont plus «atteintes que d'autres», et disent-elles en chœur, «la fac est à l'écoute de ce genre de problèmes, ils peuvent effectuer des médiations», notamment dans des services qualifiés de «misogynes».
Inter. Selon Claire, il y a traditionnellement des services où la grivoiserie est de mise, comme l'orthopédie. «Ils sont assez portés sur la chose, le sexe est présent.» Même si ces étudiantes considèrent qu'il y a des machos, «surtout chez les plus vieux, les comportements changent».
Certaines spécialités restent dédiées aux femmes, comme la gynécologie où 90 % du personnel est féminin, avec toutefois un homme chef de service. Claire, elle, note que dans sa promotion, «plein de mecs ont choisi gynéco, peut-être à cause d'affinités avec des gens rencontrés en stage». Alors qu'a contrario, pas mal de femmes choisissent urologie, réputé plus masculin.
«On nous prend pour des infirmières, les gens n'ont pas idée qu'on peut être médecin, chirurgien…» raconte Isaure qui, comme ses amies, est pourtant persuadée que la féminisation des métiers de santé va changer la donne. Et de citer cette anecdote d'un interne qui appelle pour avoir un avis du professeur et s'étonne d'avoir en face de lui…une femme professeure.
Les rites d'intégration durant les études (pour les secondes années) sont, pour les étudiantes, beaucoup moins violents et sexistes qu'ils ont pu l'être par le passé, et beaucoup plus légers que dans certaines écoles de commerce. «Il s'agit de courses avec des défis, comme montrer ses seins à la terrasse d'un café…» «En fait, montrer son soutien-gorge», rectifie l'une d'entre elles. «Ou se mettre à entonner "Winter is coming" au rayon surgelé d'un supermarché ; voire, se montrer en photo avec le plus gros chibre… Parfois cela se clôture par des jets de pommes pourries.» Bref, beaucoup de blagues potaches, qui, pour elles, ne prêtent guère à conséquence. Même si certaines facultés vont un peu plus loin dans l'excès. Et de rappeler l'épisode de la faculté de Créteil où les filles devaient lécher des têtes d'animaux.
Quant aux pratiques, elles ne semblent pas, pour elles, être différentes selon qu'on est un homme ou une femme. «Tout se joue en fonction des personnalités de chacun», conclut Camille.
«Légèreté». Juliette et Laureen, 22 et 23 ans, en cinquième année, sont en train de manger des salades préparées sur un banc, à l'heure de la pause déjeuner. Elles remarquent d'emblée qu'en stage, elles sont «souvent un garçon pour six filles» et que dans leur promo, le taux s'élève à 30 % de garçons. In fine, constatent-elles, ce «sont les médecins les plus vieux qui font les blagues les plus sexistes». Quant à la salle de garde, elles trouvent juste cela «drôle» et concluent qu'en tant qu'étudiantes en médecine, la «vision qu'on a du corps est différente». Propos partagés par le groupe d'étudiantes en sixième année rencontrées plus tôt. Leur travail «provoque ce besoin de légèreté, cette envie d'oublier les difficultés avec un gros besoin de décompensation». D'ailleurs, «on passe la plupart du temps ensemble ; on fait des rencontres et parfois même on vit en couple».