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Libération
A la barre

«Je sais très bien qu’ils ne t’ont pas étranglé, c’est dû à la lacrymo»

Une femme est jugée pour avoir menacé un jeune homme, infirme à vie après avoir été violemment agressé par des militants d’extrême droite.
A picture taken on May 19, 2015 at Rennes' courthouse shows a statue of the goddess of Justice balancing the scales. AFP PHOTO / DAMIEN MEYER / AFP PHOTO / DAMIEN MEYER (Photo Damien Meyer. AFP)
publié le 11 octobre 2017 à 17h15

Le 25 juin, Erwan est à l’hôpital en service de rééducation, le corps enserré du bassin à la tête dans une coque rigide, une vertèbre cervicale brisée, sorti du coma un mois et demi plus tôt avec un an d’interruption temporaire de travail (ITT) et un diagnostic d’infirmité à vie. Au téléphone, pendant plus d’une heure, la compagne d’un des cinq agresseurs tente de minimiser l’attaque du 7 mai à Nantes. Ce soir de l’élection d’Emmanuel Macron, dans une rue à l’écart, cinq militants d’extrême droite s’acharnent sur Erwan, 18 ans, et Steven, 16 ans, repérés plus tôt lors d’un rassemblement antifasciste. A priori à coups de barres de fer, de bouteilles et de gazeuses lacrymos. L’audience s’est tenue ce lundi à Nantes.

Ce jour où Xxxx, 21 ans, téléphone, Tanguy Martin, son compagnon et militant du GUD, 21 ans lui aussi, est incarcéré avant un procès d’assises. Il a avoué les faits, mais prétend ne pas avoir utilisé de barre de fer ni étranglé la victime. Au téléphone, Xxxx relaie avec insistance le message : pas de barre de fer, pas de strangulation. Lundi dernier, elle comparaissait en correctionnelle pour «acte d’intimidation pour déterminer une victime à se rétracter». «Je voulais m’excuser des actes de Tanguy», affirme cette étudiante en droit. Pour elle, une condamnation et une inscription au casier judiciaire signeraient la mort subite de son avenir de juriste. Elle parle avec prudence, choisit ses mots comme pour un exposé de droit. Mais même son avocat reconnaît un usage maladroit de notions juridiques floues.

«J’en suis certaine à 100%, et même plus»

Mise en examen, elle s'est montrée «arrogante, supérieure, dégoûtée de la justice», même menaçante, selon sa contrôleuse judiciaire, allant jusqu'à affirmer «Je n'en resterai pas là!» Depuis, elle assure avoir mené une «introspection», choisit les mots qu'il faut : «Je n'ai pas voulu nuire ou heurter la victime», qu'elle appelle «Monsieur» alors qu'elle l'a tutoyé lors du coup de fil qui lui vaut d'être à la barre. Le procureur, séduit par cette «position de remords, chemin intérieur», requiert une dispense de peine, même s'il la considère coupable d'avoir «accentué une forme de pression, d'intimidation, sur la victime en état de vulnérabilité».

Cinquante minutes du fameux coup de téléphone ont pu être enregistrées. «Je sais très bien qu'ils ne t'ont pas étranglé, c'est dû à la lacrymo. Je te garantis sur l'honneur : il n'y a pas eu de barre de fer […]. Ou s'il y a eu une, elle n'a pas servi […]. Mon ami est un bagarreur, pas un assassin. Non, ils n'ont pas voulu te tuer, j'en suis certaine à 100%, et même plus […]. Ce n'est pas parce qu'on fait partie d'un groupe d'extrême droite qu'on est forcément méchants. Certains sont très gentils, je suis surprise qu'ils se trouvent dans cette agression.»

«Là, t’es vraiment dans le côté victime, avoir un pied côté agresseur, ça peut t’éclairer un peu»

Pour Me Trebern, avocat d’Erwan, passé à tabac : «Tous les médecins disent que les blessures ont été occasionnées par une barre de fer. C’est un acquis. Et vous, Mademoiselle, vous n’étiez pas présente. Contrairement à la victime…» Pourtant, sur la bande, Xxxx dénonce un complot : «Médecins et policiers sont très malins et manipulateurs. Ils ont déjà dépassé le seuil du concevable et tout fait pour prolonger ton hospitalisation, pour alourdir les charges contre les inculpés.» Elle fait même une proposition : «Antoine et Tanguy [deux membres du GUD, syndicat étudiant d’extrême droite, auteurs supposés de l’agression, ndlr] voudraient te rencontrer. Pour s’excuser. Ça se passera derrière une vitre de séparation […]. Là, t’es vraiment dans le côté victime, avoir un pied côté agresseur, ça peut t’éclairer un peu […]. Il faut passer par le pardon.» A l’audience, c’est elle qui minimise et se rétracte : «Je ne comprends pas pourquoi j’ai dit ça. C’était illégitime, inopportun. C’était un moyen de me soulager.»

L’avocat d’Erwan, partie civile, a réclamé 1 000 euros de dommages et intérêts, et 800 euros au titre des frais de justice. L’avocat de la prévenue a, lui, demandé la relaxe de sa cliente. Le jugement a été mis en délibéré au 20 novembre.