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Libération
à la barre

Affaire Fiona : pourquoi les avocats de la défense ont obtenu le renvoi du procès

Le procès en appel de Cécile Bourgeon et Berkane Makhlouf, jugés pour la mort de Fiona, 5 ans, a été renvoyé à janvier. En cause : un incident entre avocats de la défense et de la partie civile.
Des magistrats lors du procès en appel de la mère de Fiona et de son ex-compagnon, Berkane Makhlouf, après la mort de la fillette, au Puy-en-Velay (Haute-Loire), le 10 octobre 2017. (Photo Thierry Zoccolan. AFP)
publié le 16 octobre 2017 à 14h14

La cour d'assises du Puy-en-Velay a décidé ce lundi matin le renvoi du procès de Cécile Bourgeon et Berkane Makhlouf, la mère et le beau-père de Fiona, jugés en appel pour «violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner». Elle a ainsi suivi la demande de la défense, en estimant qu'après un incident qui s'est déroulé vendredi, les débats ne pouvaient plus se tenir sereinement. Un nouveau procès aura lieu le 29 janvier, toujours au Puy-en-Velay. Dans l'attente d'être à nouveau jugés, les accusés restent incarcérés. Libération explique pourquoi ce procès, qui devait durer quinze jours, s'est achevé à mi-parcours.

Que s’est-il passé vendredi dans la salle d’audience ?

Certes le public était moins nombreux ou vindicatif qu'en première instance mais l'atmosphère était tendue depuis l'ouverture des débats devant la cour d'assises de la Haute-Loire. En cause, les nombreuses passes d'arme entre avocats de la défense et des parties civiles, sous le regard – souvent perdu – des jurés. En début de semaine dernière, le ton était déjà monté à plusieurs reprises entre MRenaud Portejoie, MGilles-Jean Portejoie, avocats de Cécile Bourgeon, et MMarie Grimaud, représentant l'association Innocence en danger. Au point que la défense a failli claquer la porte.

La menace d'un départ planait donc clairement depuis le début. Tout a basculé vendredi, lors de l'audition d'Amar, une connaissance du couple dans le milieu toxicomane de Clermont-Ferrand. Ce dernier a évoqué la thèse d'un accident lié à une ingestion de drogue pour expliquer la mort de Fiona, 5 ans, dont le corps n'a jamais été retrouvé. Me Marie Grimaud a alors fait part de «sa difficulté avec ce témoin», indiquant qu'il a été assisté en garde à vue par MMohamed Khanifar, aujourd'hui avocat de Berkane Makhlouf. Elle laisse ainsi planer l'ombre d'une subornation de témoin. Sur le banc d'en face, c'est un tollé. Les avocats de la défense s'estiment «mis en cause personnellement» et quittent le prétoire avec fracas. MMarie Grimaud, tente de rattraper la situation et s'excuse maladroitement : «Nous sommes là pour une vérité, nous sommes là pour Fiona. Je vous prie de bien vouloir m'excuser chers confrères, si mes propos ont été perçus comme une atteinte à votre probité […]. C'est que j'ai du mal m'exprimer.» Cela ne suffira pas.

Pourquoi la défense a-t-elle demandé le renvoi ?

Ce matin, lors de la reprise des débats, les avocats de la défense ont mentionné des «accusations abjectes» qui «discréditent la défense». «Ce procès n'est plus équitable et nous demandons avec sagesse et avec courage de le renvoyer», a souligné MRenaud Portejoie. Il est évidemment soutenu par MMohamed Khanifar: «MGrimaud a usé de procédés déloyaux pour discréditer la défense.» Les avocats des parties civiles se sont, eux, au contraire opposés à un renvoi du procès, rappelant que des excuses avaient été présentées. MMarie Grimaud a précisé : «Je ne peux aller plus loin, c'est ma personnalité» et a maintenu qu'elle ne se retirerait pas de l'audience. Même si l'avocat général a, lui aussi, insisté en faveur de la poursuite des débats – «nous sommes ce matin en train de continuer le spectacle grandiose de vendredi» – après en avoir délibéré, le président a annoncé qu'il demandait le renvoi du dossier à une autre session.

Qu’est-ce que cela change ?

Stratégiquement, les avocats de Cécile Bourgeon avaient un vrai avantage à faire renvoyer le procès à une date ultérieure à septembre 2018. En effet, dans ce cas de figure Cécile Bourgeon qui, en première instance, a été acquittée des faits criminels et condamnée à cinq ans pour quatre délits, aurait comparu libre. C’est ainsi : la détention provisoire qui a commencé en 2013 ne peut dépasser la peine prononcée en première instance. Sauf que ce lundi, le président a décidé d’audiencer le procès le 29 janvier prochain, sur une durée de quinze jours. Cela ne change donc rien à la situation carcérale de l’accusée. A part décision inattendue de la chambre de l’instruction – qui jusqu’à présent a refusé de la libérer malgré ses multiples demandes – elle se présentera à nouveau détenue à l’audience de janvier. Quant à Berkane Makhlouf, qui a été condamné à vingt ans de réclusion criminelle en première instance, l’enjeu ne se pose pas. Il n’y a donc aucun intérêt procédural pour la défense dans ce renvoi. Le procès de janvier réunira les mêmes protagonistes – avocats et magistrats – mais de nouveaux jurés seront tirés au sort. C’est ce que réclamaient les avocats de Cécile Bourgeon et Berkane Makhlouf, qui considèrent que le doute sur leur probité a été instillé dans l’esprit des jurés actuels.