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Libération
Analyse

Les contre-propositions de l’opposition

Alors que le premier projet de loi de finances de Macron est discuté à l’Assemblée, «Libé» a demandé aux responsables fiscalité du PS, de LR et de LFI de défendre le budget qu’ils auraient, eux, porté.
Eric Coquerel (La France insoumise), à l'Assemblée nationale, le 28 juillet. (Photo Jacques Demarthon. AFP)
publié le 17 octobre 2017 à 20h46

Ils ont passé plus de vingt heures en commission des finances sans faire bouger grand-chose dans un budget 2018 défendu avec vigueur par les députés de La République en marche. Sur les 50 amendements adoptés la semaine dernière, les élus d'opposition - LR, PS, insoumis et PCF - n'ont réussi à en faire passer que… six. Majorité absolue LREM oblige, aucun entre-deux n'est venu bousculer un texte appelé à déterminer la politique économique et fiscale de ce quinquennat. Libération a interrogé les responsables de l'opposition en commission des finances pour savoir à quoi aurait ressemblé ce projet de loi de finances pour 2018 s'ils avaient été aux commandes.

Les Républicains: «Plus loin» dans le libéralisme

C'est ce qu'ont répété les députés de droite aux deux ministres de Bercy issus de leurs rangs, Bruno Le Maire et Gérald Darmanin. Avec, en chef de file, le président de la commission des finances de l'Assemblée, Eric Woerth, ils auraient, en cas de victoire de François Fillon à la présidentielle, été «plus loin» sur les «baisses de charges» et «plus loin» sur l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), en proposant sa «suppression totale». «Nous aurions concentré les efforts sur la compétitivité de l'économie», précise Woerth à Libération. Dans son budget, la droite aurait proposé d'étendre les suppressions de cotisations patronales sur les emplois au-delà de 1,5 smic et aurait «baissé une multitude d'impôts avant production».

Par ailleurs, ajoute l'ex-ministre du Budget, «nous n'aurions pas supprimé la taxe d'habitation et nous n'aurions pas augmenté la CSG. Cette réforme est une vraie usine à gaz». Eric Woerth assure aussi que le parti Les Républicains «n'aurait pas augmenté la TVA», alors que cette proposition était centrale dans le programme économique présidentiel de François Fillon. «C'est pourtant bien plus intelligent ! revendique toujours Gilles Carrez, ex-patron de la commission des finances. La hausse de la CSG, ça se voit tout de suite sur la feuille de paie. La TVA, c'est beaucoup plus diffus compte tenu de la concurrence, et surtout, on fait contribuer les importations au financement de notre protection sociale !»

Baisse de 10 % sur toutes les tranches de l'impôt sur le revenu, réforme des retraites, fusion de certaines prestations sociales, retour au quotient familial d'avant Hollande… Puisqu'ils visent eux aussi un retour du déficit public sous la barre des 3 % de PIB, les députés LR vont redéposer plusieurs amendements dans l'hémicycle pour démontrer en quoi leur politique serait «différente» de celle de LREM. Question économies, la droite reste sur son chiffre présidentiel : «100 milliards» d'euros sur le quinquennat. «On aurait surtout fait en 2018 les 20 milliards [d'économies] que Macron a dit qu'il allait faire !» pointe Woerth. En revanche, rien à redire à propos du prélèvement forfaitaire unique de 30 % sur les revenus du capital : il était dans le programme LR.

Le Parti socialiste: dans la continuité de Hollande

Enfin l'unité… Les rescapés du groupe Nouvelle Gauche à l'Assemblée attendaient avec impatience ce projet de loi de finances 2018 pour égrener leur nouveau slogan : «opposants» à la politique d'Emmanuel Macron tout en «proposant». Ce budget est l'occasion pour les socialistes, débordés par La France insoumise cet été à l'Assemblée, d'afficher - une première depuis les législatives - un vote unanime contre un texte du gouvernement. A l'exception de quelques-uns, les députés PS étaient donc tous présents, le 4 octobre, pour présenter à la presse leur «contre-budget».

Dans un petit livret de 30 pages, ces parlementaires, avec à leur tête l'ex-rapporteure générale du Budget Valérie Rabault, détaillent ce qu'ils auraient fait s'ils étaient restés aux manettes : maintien de l'ISF, pas de flat tax sur les revenus du capital pour en rester à une fiscalité égale aux revenus du travail, «fléchage» des assurances-vie vers les PME et «doublement du chèque énergie» pour les plus modestes. Concernant la hausse de la CSG, ils proposent de relever le seuil pour les retraités concernés (à partir de 3 000 euros de revenus). Pour les contrats aidés, ils plaident pour une enveloppe maintenue à 430 000 au lieu des 200 000 prévus par le gouvernement. Les socialistes s'opposent aussi à la réforme des APL et se réfèrent aux propositions de l'un des leurs, François Pupponi, qui pointe dans un rapport la possibilité de 600 millions d'euros d'économie «via une meilleure gestion». Encore aux manettes de beaucoup de collectivités, ils assurent qu'ils n'auraient pas touché aux 450 millions d'euros promis aux régions, auraient «rétabli» le fonds d'urgence pour les départements et proposé une nouvelle péréquation pour les communes. Le tout, jurent-ils, en respectant les engagements budgétaires de la France à Bruxelles : ils s'estiment capables, fin 2018, de ramener le déficit public à 2,7 % du PIB. Et ce, surtout, sans toucher aux réformes économiques mises en œuvre par François Hollande.

La France insoumise et le PCF: pour une «autre répartition des richesses»

Maudit article 40 de la Constitution… Interdisant aux parlementaires d'«aggrav[er]» les «charges publiques», il a empêché les députés de La France insoumise (LFI) et communistes (PCF) de présenter en commission des finances tous les amendements qu'ils avaient prévus pour souligner ce que serait leur politique économique s'ils étaient au pouvoir. Ils ont tout de même pu défendre leur «autre barème» de l'impôt sur le revenu : 14 tranches d'impôts pour les insoumis (la première à un taux de 1 % dès le premier euro et jusqu'à 10 000 euros annuels et une dernière tranche à 90 % au-dessus de 400 000 euros annuels), et 8 tranches pour les communistes (une à 8 % entre 9 807 et 12 675 euros, et jusqu'à 50 % au-delà de 153 783 euros de revenus par an).

«Le capital est déjà très largement favorisé, on veut aller chercher cet argent qui sert pour très peu», défend Eric Coquerel (LFI), pour qui un budget de relance «keynésienne» préparé par Jean-Luc Mélenchon et ses députés serait «à rebours de la logique de Macron» : «Ce serait un Keynes qui a découvert l'environnement», ajoute le député de Seine-Saint-Denis. «Le capital s'en va dans la spéculation et les dividendes, pas dans l'économie réelle», abonde Fabien Roussel (PCF), qui propose notamment de «taxer davantage les transactions financières» et d'en créer une de 0,5 % sur le chiffre d'affaires des multinationales.

Lutte contre la fraude fiscale, baisse de la TVA, augmentation du smic et des minima sociaux, renforcement des droits de succession, plus d'agents dans la fonction publique, «priorités» au logement, à la santé et à l'éducation… Si communistes et insoumis vont défendre séparément leur vision d'un «autre budget», ils sont raccord sur le fond. Y compris pour «assumer» de ne pas tenir compte des règles européennes. «Ce n'est pas absurde, se défend Coquerel, le Portugal en est aujourd'hui l'exemple.»