Dans les couloirs de l'Assemblée, lorsqu'il croise des élus LREM issus de la gauche, ce député resté socialiste ne se prive jamais de leur adresser un fraternel salut républicain, pouce ironiquement levé : «Alors les gauchos, ça va avec le budget ? Vous n'avez pas honte ?!»
Suppression de l’impôt sur la fortune (ISF) remanié en impôt sur la fortune immobilière (IFI), prélèvement forfaitaire unique de 30 % sur les revenus du capital (flat tax), hausse de la CSG à peine compensée par la suppression de la taxe d’habitation pour les retraités à partir de 1 200 euros : des députés passés par le PS ou EE-LV avant de virer macronistes auraient a priori plusieurs raisons de se sentir mal à l’aise avec le projet de loi de finances (PLF) pour 2018.
Si certains transfuges assument de déboulonner quelques totems de gauche au nom de «l'efficacité économique», d'autres ne font pas preuve d'un enthousiasme débordant au moment où l'Assemblée nationale entame la discussion en séance sur le PLF. On n'en est pas, bien sûr, à un début de fronde au sein du groupe majoritaire : personne n'envisage de s'abstenir ou de voter contre ce premier budget du quinquennat. Les critiques sont feutrées, formulées avec des détours et des nuances. Mais nombre d'entre eux espèrent un rééquilibrage rapide et la concrétisation du fameux slogan «et de droite et de gauche» porté par Macron durant la campagne.
«Un pari». La réforme de l'ISF est clairement la première mesure qui fait tousser ces élus. Certains auraient trouvé urgent de la reporter à mi-quinquennat. Par exemple quand la «jambe gauche» de l'exécutif se sera musclée. Sans s'y opposer, Eric Alauzet, membre de la commission des finances et ancien d'EE-LV, reconnaît «avoir un peu de mal» : «Ce n'est pas ma culture, ce n'est pas mon histoire mais je réfléchis, je ne reste pas bloqué. J'écoute ceux qui disent qu'on a une insuffisance de capitaux dans nos entreprises. Il y a un côté "je retiens mon souffle et j'espère que ça va marcher". Je paie pour voir.» Beaucoup s'en sortent en estimant qu'ils font là «un pari», en misant - sans garanties - sur le fait que les contribuables les plus aisés réinjecteront leurs capitaux dans le financement des entreprises françaises et insistent sur la nécessité de procéder à une évaluation du dispositif pour, éventuellement, rectifier le tir.
Ancien socialiste, Patrick Vignal n'y retrouve pas «son ADN politique» et «doute de la capacité des bénéficiaires, seulement 1 % des Français, à réinvestir dans l'économie». Il n'est pas plus rassuré par les amendements qui frapperont les propriétaires de yachts, lingots et autres signes extérieurs de richesse : «Du cosmétique inefficace, cela ne compensera pas.» Pour la flat tax, même tarif : «J'ai du mal à la concevoir autrement que comme un cadeau. On n'a aucune contrepartie quant à l'utilisation de ce capital.»
Dans son principe, la hausse de 1,7 point de CSG au 1er janvier 2018 ne choque pas l'aile gauche de la majorité, mais quelques élus s'inquiètent quand même de ses conséquences sur les retraités. Des amendements seront déposés pour relever le seuil de 1 200 euros mensuels (1 350 euros pour les plus de 65 ans) à partir duquel la hausse de CSG s'appliquera : «Même si beaucoup bénéficieront d'une exonération de taxe d'habitation, cette incidence sera faible. Les gens ne comprennent pas qu'on augmente la CSG et qu'on fasse des cadeaux aux plus riches en supprimant l'ISF», regrette Frédéric Barbier, député du Doubs (ex-PS).
Patrick Vignal n'y voit «pas un bon signal envoyé par le gouvernement» : «On n'est pas aisé avec 1 300 ou 1 400 euros par mois. Ces retraités seront touchés puisque la suppression totale de la taxe d'habitation, pour ceux qui la payent, ne sera effective qu'en 2020», note le député de l'Hérault qui aurait donc préféré reporter cette hausse de CSG au budget 2019.
En guise de lot de consolation, ces députés - qui continuent de se dire «de gauche» - se raccrochent à quelques mesures plus sociales. Ils insistent sur la revalorisation de la prime d'activité, du minimum vieillesse ou de l'allocation adulte handicapé (AAH). «On aurait pu retrouver tout ça dans un gouvernement Hollande», se félicite Cécile Muschotti, nouvelle députée du Var. Certains citent les budgets en hausse de la Justice et de l'Education nationale. «Je ne m'arc-boute pas sur la loi de finances pour dire qu'on va y trouver notre équilibre. On est en train de faire en sorte que le mot "social" apparaisse plus souvent. Les actes qu'on va composer au fil du temps, c'est ça qui m'intéresse», avance une députée LREM. Ceux-ci attendent ainsi beaucoup de la «stratégie» de lutte contre la pauvreté lancée ce mardi à Gennevilliers (Hauts-de-Seine) par Emmanuel Macron.
«Contradiction». Sentant les cas de conscience de leurs anciens camarades, les députés socialistes enfoncent le clou, le patron du groupe Nouvelle Gauche, Olivier Faure, en appelant à leur «cohérence», dans une lettre ouverte : «Nous savons que pour nombre d'entre vous, le déséquilibre de ce budget est une surprise qui entre en contradiction flagrante avec vos engagements passés. Nombre d'entre vous, qui avez combattu avec vigueur le "bouclier fiscal" de Nicolas Sarkozy, ne pouvez assumer d'être les auteurs d'une véritable "armure fiscale".» En séance, les députés socialistes ne manqueront sans doute pas de continuer à les interpeller. «Je ne suis pas sûr que tous les députés En marche soient venus pour faire les poches du logement social et augmenter le forfait hospitalier», pointe Boris Vallaud.
Guère disposés à refaire ami-ami, les recrues LREM renvoient les socialistes à leurs propres querelles. «C'est affligeant de voir d'anciens ministres, qui étaient sur notre ligne, tenir aujourd'hui de tels propos politiciens», dénonce Cécile Muschotti, visant les critiques de Michel Sapin (lire page 3) ou de Bernard Cazeneuve. «De quel PS parle-t-on ? réplique, de son côté, le député de Gironde Florent Boudié. Celui du Fabius des baisses d'impôt, qui s'était déjà interrogé sur la pertinence de l'ISF ? Ou celui de Dominique Strauss-Kahn qui soulignait le niveau trop élevé, dans la compétition internationale, de la fiscalité du capital ? Qui peut croire qu'il y a encore une cohérence chez eux ?» Parmi les premiers socialistes à avoir suivi Macron, lui assume l'ensemble des réformes fiscales, arguant que «personne n'est pris en traître, il n'y a aucune surprise». «La suppression de l'ISF n'enlève rien à personne, rien à ceux qui souffrent mais envoie un signal à l'extérieur», assure-t-il.
Pour ceux qui auraient des états d’âme, le groupe LREM renvoie au huis-clos des discussions en groupe. Prière de râler en interne plutôt que de défendre ses propres amendements.