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Libération
Interview

Michel Sapin: «Pour le débat démocratique, il faut avoir les informations précises»

L’ex-ministre des Finances de François Hollande souhaite que Bercy dévoile le gain qu’obtiendront les 100 personnes les plus riches de France grâce au budget 2018.
publié le 17 octobre 2017 à 20h46

Ex-ministre des Finances de François Hollande, Michel Sapin réclame depuis quelques jours «la somme dont vont bénéficier les 100 premières fortunes de France» grâce aux réformes de l'ISF et sur les revenus du capital.

Pourquoi demander au gouvernement de publier ce chiffre ?

Pour des raisons de clarté, de démocratie et de justice. Ce gouvernement veut mettre en œuvre une réforme de la fiscalité du capital. C'est son droit. Et on ne peut pas reprocher à Emmanuel Macron d'avoir pris tout le monde par surprise, c'était dans son programme présidentiel. Mais pour le débat démocratique, il faut avoir les informations précises. En France, la richesse est extrêmement concentrée. Ce n'est pas parce qu'on prend des «risques» qu'on devient riche mais, d'abord et avant tout, parce que l'on hérite. Je souhaite donc qu'on sache de combien vont bénéficier les 100 plus grandes fortunes françaises.

Ce document existe-t-il ?

Pour chaque réforme de cette nature, les services de Bercy font une évaluation chiffrée des effets globaux de la mesure et de ses conséquences par catégories de contribuables. Je serais étonné que le gouvernement n’ait pas été éclairé sur ce point avant d’arrêter le dispositif final. Ce que l’exécutif sait, pourquoi le cacher aux Français ?

Ne va-t-on pas opposer le secret fiscal ?

La question est légitime. Il m'est d'ailleurs arrivé, en tant que ministre, de porter plainte lorsqu'on y attentait. Mais dans ce cas précis, on ne peut l'opposer. Je ne demande pas des noms mais un chiffre. Emmanuel Macron justifie ce choix de «libérer du capital» pour permettre à ces acteurs économiques d'«investir dans l'économie française»… Vieil argument éculé ! Aujourd'hui, il existe un grand nombre de dispositifs qui allègent l'impôt de ceux qui investissent effectivement dans l'économie française : l'ISF-PME, l'exonération de l'outil de travail, les régimes particuliers de plus-values, etc. Ils sont suffisants, même s'il est toujours possible de les rendre plus efficaces encore. En réalité, il s'agit maintenant de bien autre chose : ce ne sont pas l'investissement ou le risque qui vont être récompensés, mais la rente dont bénéficient ceux qui, comme le disait François Mitterrand, «s'enrichissent en dormant». Bien sûr, on a le droit d'être riche, là n'est pas le sujet… Mais en France, on doit contribuer au fonctionnement de la nation, de manière progressive, en fonction de ses revenus.

Le gouvernement justifie aussi cette réforme en expliquant que l’ISF fait fuir des Français à l’étranger…

On connaît ce refrain. Certains contribuables partent, d’autres reviennent. Les derniers chiffres connus montrent un équilibre entre les deux mouvements. En fait, à l’origine des départs, ce sont avant tout des questions de transmission de patrimoine qui jouent et non pas d’imposition des revenus ou du capital détenu. De ce point de vue, rien ne changera.

Dernier argument du gouvernement : la France s’aligne sur les autres pays européens…

Je pense qu'il n'y a pas beaucoup de pays en Europe où le taux d'impôt sur le revenu est à 12,8 % comme ce sera le cas sur ceux du capital une fois la flat tax effective. Qu'est-ce qui fait la France ? Sa cohésion sociale, le principe selon lequel chacun doit contribuer en fonction de ses moyens. C'est un vrai changement de notre système de valeurs que de considérer qu'«être riche» est le critère de réussite. On peut aussi réussir par sa créativité, son travail au sein d'une entreprise, son dévouement à la chose publique… Dire «devenir riche c'est réussir», c'est un abaissement de la conception de notre société et un avilissement de ses valeurs.