Dans le débat budgétaire, c'est elle qui tient la tranchée. En infatigable bonne soldate qui déroule les éléments de langage destinés à vendre un «budget de transformation», «de la feuille de paie», «un choc de l'offre», et on en passe. En mal de porte-drapeaux pour prêcher la bonne parole macroniste, les piliers LREM ne sont pas peu fiers de leur pépite : «Amélie ? Elle est formidaaable !» «Très agile, très ferme, une belle découverte !» vante Richard Ferrand. A 32 ans, Amélie de Montchalin porte sur ses épaules de députée néophyte le message de LREM sur le projet de loi de finances. Lunettes rondes, grand sourire et débit speed, elle endosse le rôle de «whip» de la commission des finances - littéralement «fouet», un terme anglo-saxon pour nommer les chefs de file du groupe majoritaire dans chaque commission de l'Assemblée.
Selon un membre de la commission d'investiture d'En marche, la jeune femme au tempérament bien trempé et au CV qui en impose avait vite été repérée parmi les candidatures aux législatives. Elle voulait se présenter dans le nord de l'Essonne où elle a ses attaches familiales,«agriculteurs depuis cent ans sur le plateau de Saclay», une circonscription convoitée par Cédric Villani, autre tronche recrutée par En marche. «Stéphane Séjourné [désormais conseiller à l'Elysée, ndlr] a tout fait pour la garder dans le "pipe"», raconte un ancien de l'équipe de campagne de Macron. Elle atterrit finalement sur la circonscription voisine.
Puis, en juin, l'entourage de Richard Ferrand l'a choisie comme «whip». «Il s'agit de coordonner le travail des 38 députés LREM de la commission sur le budget», précise celle qui assure aussi les allers-retours avec les deux ministres, Bruno Le Maire et Gérald Darmanin avec lequel elle est à tu et à toi. Cet été, elle a été reçue par celui de l'Economie, qu'elle a salué d'un «voilà, cher Bruno, ma petite liste des trucs qui vont moins bien» dans le futur PLF. Pas impressionnée pour un sou : elle est habituée à côtoyer le gratin, elle qui, comme directrice de la prospective et du suivi des politiques publiques chez Axa, traitait avec les PDG ou «à l'échelle du G20».
«Tuyauterie». C'est le profil que se plaît à vendre son groupe : une petite machine de guerre bardée de diplômes (HEC, Harvard Kennedy School) capable de tenir la ligne, de coproduire avec le gouvernement, voire d'en remontrer à Bercy quand les technos prendraient le dessus. Techno et politique : Amélie de Montchalin a un peu des deux. Elle «parle le langage» des premiers : à propos du budget, l'économiste de formation évoque «tuyauterie», «tuilage», «mettre de la pression dans le système», le tout assorti d'une gestuelle énergique, façon «je plonge les mains dans le cambouis jusqu'au coude». Elle s'efforce en même temps de «porter les choix politiques» de la majorité : «Le budget n'est pas une finalité mais doit nous donner les moyens de faire nos réformes.» A l'instar de son parcours, entre les deux sphères. A 22 ans, elle a postulé auprès d'un secrétaire général de Bercy qui lui a rétorqué : «Vous avez plus le goût de l'action que l'envie de pondre des notes.» Au même âge, elle passe six mois en stage auprès de la députée UMP Valérie Pécresse. En 2014, elle alimente en notes la Boîte à idées, think tank proche de Juppé, qu'elle soutient à la primaire. Avant d'être séduite par Macron : «En marche, j'en rêvais depuis longtemps, que quelqu'un pas issu du sérail mobilise des gens non encartés pour faire du concret.»
Dans les faits, difficile de repérer sa patte et celle des députés LREM sur le PLF. Ces derniers disent avoir été associés en amont au budget, un travail souterrain du coup assez peu visible. Quelques amendements ont été votés en commission, par exemple pour corriger la fiscalité des assurances-vie (sujet sur lequel elle va se déporter, en raison de ses précédentes fonctions à Axa), évaluer la réforme de l'ISF ou taxer les «signes extérieurs de richesse» exclus de l'impôt sur la fortune immobilière (IFI). «Nos amendements, on a vraiment été les chercher, on est allés demander tous les chiffres», insiste Montchalin. Pour elle, ce n'est pas tant par le nombre d'amendements adoptés que l'on jugera du poids des députés que sur les suites du débat budgétaire. La whip veut ainsi «suivre à la culotte les intermédiaires financiers» pour qu'ils proposent des placements finançant les PME.
«Baguette». «Elle tient un discours de banquier qui va nous proposer les meilleurs produits mais derrière il n'y a pas l'idée d'un pôle public bancaire, elle pense que tout va se résoudre par le bon vouloir des opérateurs privés», dénonce Eric Coquerel (La France insoumise), qui s'irrite de son «côté donneuse de leçons». «Elle est très intelligente mais très caporaliste, elle mène son monde à la baguette», s'agace une députée Nouvelle Gauche. Montchalin, elle, balaie des «postures droite-gauche fatiguantes» et les «ping-pongs idéologiques stériles». Veut en finir avec «les marqueurs qui font perdre en efficacité». «C'est comme en vélo, si vous donnez un coup à gauche, un coup à droite vous tombez. Si vous pédalez vous avancez», réplique-t-elle. Le nez dans le guidon, à fond dans le couloir libéral.