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Libération
Interview

Violences sexuelles. Muriel Salmona : «La justice participe à la loi du silence»

publié le 24 octobre 2017 à 20h46

Le 16 octobre, Marlène Schiappa, secrétaire d'Etat chargée de l'Egalité entre les femmes et les hommes, annonçait un projet de loi «contre les violences sexistes et sexuelles» dans une interview accordée au journal la Croix. Ce projet de loi devrait notamment «acter l'allongement» des délais de prescription pour les crimes sexuels sur mineurs, «instaurer un non-consentement présumé» des enfants et «verbaliser le harcèlement de rue». La secrétaire d'Etat s'est vu remettre, vendredi, un rapport composé de huit mesures phares portées par Muriel Salmona, psychiatre et présidente de Mémoire traumatique et victimologie. Elle analyse le phénomène #balancetonporc.

L’affaire Weinstein est-elle aussi un électrochoc politique ?

En France, il y a eu une première grosse alerte avec l'affaire de Pontoise en avril [une fillette de 11 ans avait porté plainte pour viol contre un homme de 28 ans, le parquet a considéré qu'elle était consentante et a requalifié les faits «d'atteinte sexuelle», ndlr]. Ça a vraiment touché l'opinion publique. On s'est rendu compte qu'il était temps d'agir pour l'amélioration des lois. Avec Weinstein et l'apparition de #balancetonporc, on est passé à la vitesse supérieure. J'ai appris dix jours avant le rendu du rapport que tout devait être prêt vendredi.

Le changement a-t-il lieu partout ?

Les «stars» victimes de Weinstein ont permis de légitimer la parole de beaucoup de victimes. Il n’y a qu’à constater cet élan de solidarité avec #metoo et #balancetonporc, qui concerne des milieux différents. Cela donne de la force à des femmes qui, en plus d’être victimes de violences sexuelles, sont dans une position de discriminées et n’osaient pas témoigner.

La sphère du travail est la grande oubliée de la future loi de Schiappa…

Complètement. Des femmes ont tellement intériorisé ces violences au boulot qu’elles ne se sentent pas légitimes pour témoigner ou porter plainte. Et il ne faut pas aussi oublier la sphère privée : 90 % des violences sexuelles sont commises par des proches et la moitié dans la famille. Sans parler des enfants, grands oubliés de #balancetonporc.

Certains regrettent que les victimes s’expriment sur les réseaux sociaux et non devant la justice.

C’est être dans un déni total de la réalité. Seulement 10 % des victimes portent plainte et le système n’a rien à voir là-dedans ? Bien sûr que si ! Porter plainte est une galère épouvantable. Les victimes sont très souvent l’objet de suspicion. Et la justice a cette manière systématique de déqualifier les faits. Enfin, et c’est très grave, 70 % des plaintes pour violences sexuelles sont classées sans suite. La justice participe à la loi du silence.